Origines et conséquences du feu: méthodologie

Les traces de combustion peuvent être directement ou indirectement liées à l’action humaine. Dans le cas où le passage des os au feu est intentionnel, les hommes ont pu vouloir cuire la viande, faire un bouillon permettant la récupération de la graisse (dans ce cas les fragments osseux ne sont pas carbonisés), ou encore utiliser les os frais comme combustible. Dans l’autre cas, ces os ont pu tomber accidentellement dans un foyer, avoir subi un incendie ou être situés dans des sédiments sous-jacents à un feu (jusqu’à 25 cm de profondeur selon Bennett, 1999 in Lebon, 2005).

En ce qui concerne la combustion des os directement liée à l’action humaine, dans la première hypothèse, selon que la cuisson est directe ou indirecte, les ossements peuvent être carbonisés sur toute leur surface, interne comme externe, seulement sur leur face externe, ou dans le cas de rôtis, les brûlures peuvent ne recouvrir qu’une partie (généralement une extrémité), la viande faisant alors fonction d’isolant.

Dans la troisième hypothèse, plusieurs avantages peuvent être attribués à l’utilisation de l’os comme combustible. Tout d’abord, la présence d’os dans un foyer augmente la durée totale de la combustion, surtout en ce qui concerne la phase de production des flammes. La durée d’incandescence des braises est à l’inverse très brève. Ensuite, cet emploi secondaire des produits de la consommation entraîne à la fois un gain de temps et d’énergie pour l’acquisition de combustible (plus rapide et aisé que le stockage de bois), tout en permettant d’assainir le site de façon à prévenir l’attraction des prédateurs (Théry-Parisot, 2001). De récentes expérimentations (Costamagno et al.,1998 ; Théry-Parisot et al., 2005) ont permis d’obtenir de façon générale les résultats suivants :

• Un feu ne peut pas être démarré qu’avec des ossements, il doit être au préalable amorcé avec d’autres types de combustibles (mousses et brindilles suffisent) mais en revanche, un foyer peut être ensuite alimenté uniquement avec du combustible osseux.
• Les éléments spongieux entiers avec leur graisse peuvent servir de combustible. Leur utilisation retarde l’extinction des flammes par rapport à celle du bois. La fracturation des éléments spongieux permet d’accélérer et de faciliter la libération de la graisse rendant l’entretien du feu plus aisé. Elle est également à l’origine de l’accroissement de l’intensité de combustion. Les os les plus favorables à la combustion sont les parties spongieuses et les os entiers (graisses et moelle). Cependant il est peu probable que les os entiers aient été brûlés (sauf dans le cas d’animaux en mauvaise condition physique dont la moelle est rarement consommée, Speth & Spielmann, 1983). Ainsi, les métapodes de renne, qui sont les derniers os longs à perdre leur intérêt nutritif, ne sont jamais brûlés entiers par les Nunamiuts du Nord de l’Alaska. Dans les cas par exemple de combustion accidentelle ou de combustion liée à l’entretien du camp, il serait invraisemblable que seuls des éléments précis aient subi l'action du feu. La prépondérance d’os spongieux brûlés, qui sont de meilleurs combustibles que les fragments de diaphyses, militerait donc en faveur d’une utilisation des ossements comme combustible.
• L’os sec constitue un mauvais combustible.
• La présence importante de chair sur les ossements ne favorise pas la combustion (pièces seulement carbonisées aux extrémités), en revanche des résidus de chair et de graisse sont plutôt bénéfiques à l’inflammation.
• Entretenir un foyer seulement avec des ossements implique beaucoup de contraintes : présence quasi continue ; température devant rester élevée afin de permettre l’inflammation de la graisse, or, contrairement au bois l’os fournit des braises qui se refroidissent très rapidement après extinction des flammes.
• Les os calcinés sont plus sujets à la fragmentation donc nombreux sont ceux qui disparaîtront sous l’impact de la compaction et du piétinement (Costamagno et al., 1998, Gerbe, 2005, communication orale ; Beauval, 2005, communication orale). Ces processus pourraient expliquer le faible nombre d’ossements calcinés dans les sites archéologiques ainsi qu’une plus grande quantité de petits ossements brûlés que de grands.
• L’état de coloration est fonction de l’intensité de la combustion. La calcination débute lorsque l’os devient gris puis devient complète quand il est entièrement blanc.

La couleur des éléments brûlés peut en effet indirectement indiquer le type de chauffe exercé sur des ossements. Il est ainsi possible d’émettre des hypothèses de pratiques particulières à partir de ces observations. Par exemple, dans le cas ou les deux faces de l’os sont carbonisées, l’utilisation de celui-ci comme combustible serait la plus probable. En effet, ceci impliquerait un traitement, avec décharnement et fracturation, antérieur à la carbonisation. De plus, si la couleur de l’os brûlé est noire foncée, blanche, ou turquoise, on peut en déduire que l’os n’était pas protégé par la chair au moment de sa mise au feu et que la combustion a été longue et intense. Par ailleurs, selon S. Costamagno et al. (1998), parmi les différentes causes de combustion indiquées plus haut, en présence d’ossements présentant des stades de combustion avancés, la première hypothèse (brûlés en cours de cuisson) peut être rejetée. La viande est en effet immangeable bien avant que l’os ne soit carbonisé. Cependant, en ce qui concerne cette relation de cause à effet, je serai plus sceptique. En effet, il est tout à fait envisageable que des os au préalable cuits avec leur viande, soient, une fois décharnés, jetés au feu, atteignant dans un second temps des stades plus avancés de combustion. Dans le cas de feux naturels, les os brûlés accidentellement sont rarement calcinés. Ainsi, selon la durée de l’exposition à la flamme et selon son intensité, la couleur de l’os évolue. L’os chauffé va du rouge-marron au marron foncé-noir, puis au bleu-noir, au gris blanc et enfin au blanc, voire au turquoise lors d’une exposition à la chaleur prolongée et intense (Shipman et al., 1984). Toutefois ces couleurs ne permettent pas d’évaluer la température de combustion, elles peuvent tout au plus donner un ordre d’idée de l’intensité maximale de la chaleur. Il est aussi important de dissocier lors de l’analyse des couleurs, celles dues à la combustion de celles dues aux sédiments (manganèse, oxydes de fer…). Durant mon étude, j’ai pu observer qu’une quantité importante d’ossements avait une couleur rouge particulière associée à une patine lustrée de la surface osseuse. En tenant compte du contexte taphonomique propre à chacun des sites nous avons pu dans certains cas émettre l’hypothèse de l’action indirecte de la chaleur sur un os protégé par sa chair, autrement dit de la cuisson de la viande.

L’expérience de mon travail de 2002 m’a poussé à regrouper les restes brûlés selon huit catégories de couleur classées dans l’ordre des étapes de combustion de l’os (d’après Stiner et al., 1995 et Lebon, 2005) :

Ces catégories ont été enregistrées seulement pour les restes déterminés et les esquilles supérieures ou égales à 5 cm. Les restes brûlés provenant des refus de tamis ont été seulement répartis selon trois stades de combustion

• Stade 1 : pré-carbonisation (1). Les os, protégés par la chair, sont principalement rougis.
• Stade 2 : carbonisation (2-3-4). Les os sont carbonisés (noirs) au moins sur une partie de leur surface.
• Stade 3 : post-carbonisation (5-7). La majorité de la surface des os est calcinée (gris-blanc).

Une longue exposition à la chaleur produit des fissures longitudinales et transverses. Bien que celles-ci soient difficilement distinguables de celles dues à l’intempérisation, j’ai précisé à chaque fois si l’os était fissuré ou non. J’ai également noté l’étendue de la brûlure sur la surface de l’os.