Autres pièces travaillées

L’analyse de la faune de Saint-Marcel a également compris l’observation minutieuse de chaque pièce afin de déceler des outils en os. R. Gilles avait noté dans ses rapports de fouilles leur présence, c’est pourquoi il était très important de s’intéresser à cette industrie osseuse.

En ce qui concerne ce que nous appelons «le poinçon» de la couche h (photo 149), préalablement remarqué par L. Gamberi (Musée d’Orgnac), il rassemble a priori tous les critères définis par H. Camps-Fabrer (1990) permettant cette attribution : «objet allongé dont le façonnage peut être partiel ou total, les sections et longueurs variables ; l’extrémité distale est constituée d’une pointe plus ou moins acérée, quelquefois émoussée ou réaménagée ; la partie proximale peut être façonnée ou non.». En l’occurrence, ce poinçon serait un poinçon de «type 1», dit «économique». Les hommes auraient récupéré une esquille de diaphyse quelconque possédant déjà une extrémité naturelle pointue. Celle-ci aurait été ensuite amincie par raclage et/ou abrasion. La majeure partie de la surface de la pièce est polie. La matière osseuse première a donc été presque entièrement transformée. L’extrémité proximale est tronquée et ne conserve aucun repère anatomique, toutefois ce fragment semblerait provenir d’un métapode de moyen herbivore (probalement de cerf). L’extrémité distale est pointue et polie. Des poinçons ont été reconnus dans des périodes anciennes, notamment dans les niveaux châtelperroniens de la grotte du Renne à Arcy-sur-Cure (Baffier & Julien, 1990 ; D’Errico et al., 2003). L’impact des Carnivores étant très discret dans tout l’assemblage, il nous a paru logique dans un premier temps de ne pas le lui imputer d’emblée. Nous avons également écarté l’hypothèse de traces de mâchonnements par les Cervidés (Sutcliffe, 1973, 1977). Par ailleurs, le très bon état général de conservation de l’assemblage osseux (chp. 3.3., chp. 3.5.1.), conjugué à l’extrême rareté des pièces polies (seulement 3 sur les 5000 restes environ), a contribué à la mise en lumière de leur singularité, et plus particulièrement de celle de la pièce appointée présentée ici.

Suite à cette approche préliminaire, l’étude microscopique s’est avérée indispensable à la caractérisation des surfaces osseuses de ce reste osseux (D’Errico & Giacobini, 1988 ; Villa & D’Errico, 2001). Des clichés ont été réalisés au Centre Européen de Recherche en Préhistoire (CERP) de Tautavel par B. Deniaux (photo 149). Ceux-ci n’ont pas permis de trancher nettement en faveur de l’hypothèse anthropique ou de celles d’ingestion par des Carnivores ou de dissolution naturelle par les sédiments encaissants. Ce qui est étrange est que l’on peut observer à la fois des surfaces lisses avec des micro-stries pouvant être liées à un façonnage ou à des phénomènes abrasifs naturels et à la fois des surfaces abrasées comprenant des micro-concavités spécifiques à la digestion (Villa & D’Errico, 2001 : cf. fig. 23 de l’article). L’extrémité du « poinçon » montre même une encoche ayant pu être provoquée par la morsure d’un animal. Ce polissage partiel ne s’accorde pourtant pas a priori au phénomène de digestion, ni, non plus, à celui d’attaques acides par les sédiments. Mais à défaut de preuves tangibles d’un façonnage par l’homme, telles que de nombreuses stries parallèles (D’Errico et al., 2003 : fig. 10 et 11 de l’article ; D’Errico & Henshilwood, 2007 : fig. 4, 7 et 8 de l’article), cet os doit être considéré comme un « pseudo-poinçon ».

En plus de ce poinçon, trois mentions bibliographiques font état de la présence de ce type d’artefacts dans les niveaux moustériens de la Baume des Peyrards :

‘« Nous mentionnerons encore des pointes aigües, capables de percer le bois ou l’os (…), ainsi qu’un os taillé en pointe, par un travail assez grossier, il est vrai, mais incontestable. »’ ‘« Il nous faut signaler enfin un poinçon en os (fig.) à section demi-ronde. »’

Malheureusement nous n’avons pas retrouvé ces restes dans nos séries.

Les deux éléments osseux « retouchés » de la couche g (photo 150) de Saint-Marcel présentent de fortes similitudes avec les pièces manufacturées des sites pléistocènes moyens italiens de La Polledrara di Cecanibbio et de Rebibbia de’Pazzi (Anzidei, 2001) et du site paléolithique moyen espagnol de La Cueva Morin (Freeman, 1978 ; cf. controverse in Freeman, 1983). La localisation et la récurrence des enlèvements sur ces deux restes peuvent laisser penser à une utilisation de la matière osseuse à des fins de raclage ou de découpe de matériaux tendres.

Un autre type d’objet a également attiré suffisamment mon attention pour apparaître dans ce chapitre sur l’industrie osseuse. Il s’agit de fragments d’andouiller de bois de Cervidés (renne ou cerf) très nettement et régulièrement incisés par des outils lithiques. Deux ont été observés, un incontestable dans le gisement des Peyrards (ensemble supérieur indéterminé, photos 151 et 152 : la régularité et le nombre des marques sur le fragment des Peyrards ne peuvent pas correspondre à des marques faites du vivant de l’animal (combats, raclages, etc….) et un, moins évident, dans celui de la Baume Flandin (niveaux de la salle ; collection Gauthier ; photo 153). L’action à l’origine de ces traces m’est encore inconnue : préparation des bois, stries intentionnelles d’ordre symbolique, détachement des restes des velours, etc….