Exploitation humaine intensive et généralisée

A la BAUME DES PEYRARDS, dans les trois niveaux de l’ensemble supérieur et dans les échantillons non localisés, l’action des hommes sur les surfaces osseuses a laissé de très nombreuses traces qui m’ont permis de détailler leurs opérations bouchères, l’ensemble inférieur se démarquant justement par sa rareté en marques anthropiques. Dans l’ensemble de la séquence, les carcasses de bouquetin ont été marquées, pour environ 20 % d’entre elles, par les stries laissées par les outils, à l’exception de l’ensemble inférieur où elles en sont totalement dépourvues. En ce qui concerne les autres espèces, les cerfs et les chevaux ont environ 35 % de leurs os qui ont été incisés, tandis que les chevreuils, les chamois et les aurochs en comptent respectivement 24,5 %, 26,5 % et 16,7 %. Les deux seuls os striés de l’ensemble inférieur sont des os de cerf.

Pour les deux espèces principales, le bouquetin et le cerf, les hommes ont procédé sous l’abri au moins une fois à toutes les étapes bouchères, ce qui ne signifie pas que certaines carcasses n’étaient pas traitées sur les lieux d’abattage (rareté du tronc et des extrémités des pattes). Du dépouillement à la récupération de la langue, en passant par l’éviscération, la mise en pièces et le décharnement du tronc, des membres et du crâne, l’exploitation des bêtes abattues était complète. Pour les espèces secondaires offrant un squelette moins complet, la décarnisation et le dépouillement ont été les opérations les plus observées sur les surface osseuses.

De la même manière, la récupération de la moelle jaune des os s’est avérée systématique, trahissant un même souci de l’économie des matières alimentaires. Mis à part les os d’aurochs, qui ont été, de façon générale, plus épargnés par l’action humaine que les autres herbivores (moins d’os striés et seulement la moitié d’os fracturés), chez ces derniers ce sont les trois-quarts des ossements qui ont été brisés pour leur moelle. L’exploitation de cette denrée a été poussée jusqu’aux membres des extrémités du squelette (mandibules, métapodes et phalanges), révélant peut-être des périodes de chasse durant lesquelles les animaux étaient en mauvaise condition physique (saisons de chasse hivernales). Quelques traces d’éclatement présentes au niveau des cervicales, des ceintures et des basipodes peuvent être assimilées à des actions de mise en pièces.

L’hypothèse du broyage des parties spongieuses du squelette (épiphyses, vertèbres, côtes et ceintures) à des fins de récupération de leur graisse a pu être avancée dans les ensembles supérieurs b et c-d, où sont attestées d’ailleurs des occupations durant la saison de pénurie (hiver). A cette possibilité vient s’ajouter celle de l’utilisation des os comme combustible, révélée dans toute la séquence, pour expliquer la rareté des os spongieux. Quelques morceaux de cerf et de chevreuil témoignent d’un rôtissage et quatre fragments de carapace de tortue partiellement carbonisés pourraient révéler leur consommation.

Enfin, dans toute la série une centaine de fragments a livré des surfaces impressionnées ayant servi à retoucher ou raviver les tranchants d’outils lithiques. La plupart de ces fragments sont des éclats diaphysaires d’os longs de bouquetin, principalement des tibias et des fémurs.

La grotte de SAINT-MARCEL renferme l’assemblage où l’exploitation humaine des carcasses s’est de loin la plus largement manifestée. Les marques de boucherie sont présentes sur un peu plus de la moitié des restes déterminés et plus de 80 % d’entre eux comptent des fractures sur os frais. L’excellent état de conservation de cette série a là aussi permis une analyse minutieuse de l’emplacement des stries et des points d’impact. L’étude des stries nous a montré combien était poussée l’exploitation des carcasses des bêtes rapportées au campement. Elles étaient entièrement décharnées, y compris les os où la chair est pourtant rare (raclage des métapodes), et certaines bêtes étaient dépouillées, éviscérées et mises en pièces, et ce quelquefois en deux étapes, l’une opérée sur le site d’abattage (dépouillage et mise en pièces préalables permettant un abandon occasionnel des phalanges et du tronc) et l’autre sous le porche. La moitié ou plus des os de cerf, de cheval, de bouquetin et de mégacéros portent des incisions, tandis qu’environ un tiers des os de daim et de chevreuil en sont marqués. La couche u comprenant la série où les marques de boucherie sont les plus discrètes se démarque à ce titre du reste de la séquence.

L’extraction de la moelle jaune des os longs, des phalanges et des mandibules de tous les types d’herbivores a été encore plus systématique qu’aux Peyards. Plus de la moitié des os fraîchement fracturés ont livré des encoches de percussion. Quelques rares côtes et os des ceintures comprenant des enlèvements corticaux placés autour des zones articulaires témoigneraient de la désarticulation des trains de côtes, épaules et bassins par des opérations de percussion.

L’extrême rareté des os spongieux, que ce soit celle des épiphyses ou des os du squelette axial, au sein d’un assemblage par ailleurs parfaitement bien conservé, m'a conduit à évoquer deux possibilités. D’une part, l’hypothèse de la confection de bouillons gras par le concassage de ces mêmes parties peut être avancée du fait du grand nombre de petits fragments spongieux non brûlés, et d’autre part, en ce qui concerne l’autre moitié brûlée des refus de tamis et les nombreux fragments d’épiphyses déterminées passés au feu, l’utilisation des parties spongieuses comme combustible doit être également envisagée.

Saint-Marcel est également l’assemblage qui a fourni le plus grand nombre de retouchoirs en os, très exactement 303 dans toute la série. Ces retouchoirs sont également pour la plupart des fragments diaphysaires d’os longs de cerf, provenant dans leur majorité des tibias, des radio-ulnas et des métacarpiens.

Dans les couches sus-jacentes à la couche u, les hommes ont observé non seulement les mêmes habitudes de chasse avec un abattage préférentiel des cerfs adultes, mais également de traitement des carcasses animales. Dans tous ces niveaux d’occupations, une fois transportées jusqu’à l’habitat, la même chaîne opératoire a été observée pour l’exploitation des carcasses de ce Cervidé (fig. 332).

A l’abri du MARAS, ce sont les rennes et les chevaux qui comptent le plus d’ossements striés : pour les premiers, respectivement 17,6 % dans le niveau 1 et 31,7 % dans l’ensemble supérieur, et pour les seconds, respectivement trois restes sur quatre dans le niveau 1, un tiers dans l’ensemble supérieur et un peu plus de la moitié dans l’ensemble inférieur. Ecorchement, désarticulation et décarnisation sont les trois opérations qui ont laissé des traces sur les carcasses de renne. Pour le cheval, seules les deux premières actions ont pu être mises en évidence. L’ensemble supérieur compte également quatre restes striés de Bovinés provenant de l’enlèvement des chairs, dont une hémi-mandibule largement incisée témoignant de la découpe de la langue et trois fragments d’os longs des membres postérieurs. Les os de cerf comprennent seulement trois restes striés, dont un seul seulement dans les couches inférieures où il représente pourtant la proie principale. Ce sont également tous des os longs des membres postérieurs.

En ce qui concerne les os à moelle, les proportions de fragments fracturés par les hommes sont écrasantes, atteignant 100 % pour les cerfs, les chevaux et les Bovinés du niveau 1. Le taux le plus faible est celui des os de cerf provenant des couches inférieures, ce qui fait écho à leur rareté en marques de boucherie. L’exploitation de cet animal dans ces niveaux semble avoir été limitée. Toutefois, cette assertion n’est que préliminaire, la faiblesse de la série des couches inférieures ne nous permettant pas d’assurer d’éventuelles stratégies alimentaires. En revanche, l’analyse de la fracturation des os de renne de l’ensemble supérieur a permis de mettre en évidence l’exploitation de la moelle de tous les os longs, les canons ayant les taux d’os brisés les plus importants, ainsi que d’une hémi-mandibule.

L’utilisation des ossements comme combustible est attestée de façon très nette dans les couches inférieures. Dans toute la séquence, treize retouchoirs ont été recensés, soit 3,4 % du nombre total de restes déterminés et d’esquilles coordonnées (≥ 5 cm). Les hommes ont principalement utilisé des os longs de chevaux et de rennes.

Face à la rareté des traces et des restes de Carnivores, ces données confirment la part prépondérante que les hommes ont eue dans l’accumulation osseuse mais également dans le traitement des carcasses d’herbivores.

Quelques os brûlés et comportant des fractures sur os frais provenant des niveaux moustériens de la BAUME D’OULLENS et des fragments portant des marques de boucherie et des traces de percussion issus du gisement du RANC POINTU n° 2 sont les manifestations de l’action des hommes sur ces petites séries.