CHRONOLOGIE, CLIMAT ET ENVIRONNEMENT

Toutes les données biostratigraphiques et paléoenvironnementales de ces sites du Sud-Est de la France nous permettent d’établir la position de chacun au sein d’un cadre chronologique commun et d’illustrer l’environnement de l’Ardèche et du Vaucluse à toutes ces époques (tab. 300).

Replaçons les sites dans leur contexte chronologique et biostratigraphique.

Les études radiométriques, paléontologiques (grands mammifères et microfaune) et palynologiques récentes permettent de dresser un cadre chrono- et biostratigraphique détaillé en situant plusieurs de nos séquences ardéchoises :

Dans le cadre géographique plus vaste que représente la moyenne et la basse vallée du Rhône, on peut également situer chronologiquement d’autres gisements importants appartenant à cet intervalle de temps.

A l’Ouest du Rhône, pour le gisement de Payre, les ensembles E et D pourraient être attribués au dernier interglaciaire et au tout début de la dernière glaciation (entre 120 et 80 ka, stade isotopique 5), tandis que l’ensemble G appartiendrait au début de l’avant-dernière glaciation (Masaoudi et al.,1997 ; Valladas et al., sous presse). En partant du Nord, on trouve sur la rive droite du Rhône les sites paléolithiques moyens de Soyons (Ardèche), l’abri Moula et la grotte Néron. Les couches XIX à XVII de l’Abri Moula sont attribuées à l’extrême fin du Riss, les couches XVI à XII appartiennent à l’Eémien (stade isotopique 5 e) et les couches supérieures XI à IV au début de la dernière glaciation, donc contemporaines du stade isotopique 4 (Defleur et al., 2001). Des datations par la méthode du C14 dans les niveaux moustériens de la grotte Néron ont donné 43 +/- 1,1 ka , tandis que les données paléoenvironnementales placent la totalité de la séquence dans une phase froide du dernier interglaciaire (Defleur et al., 1994a). Un peu plus à l’Ouest, dans le Massif Central, les datations RPE des sites d’altitude de Saint-Anne 1 et de Baume-Vallée, couplées aux données de la faune et de la sédimentologie, permettent de cadrer leurs occupations à la fin de l’avant-dernière glaciation (stade isotopique 6) pour le premier et au début de la dernière (début du stade isotopique 4) pour le second (Raynal et al., 2005, 2007).

Sur l’autre rive du Rhône, dans la Drôme, l’analyse biostratigraphique comparative de la faune de la grotte Mandrin a permis de positionner ce gisement au début du dernier glaciaire (Würm II ; Giraud et al., 1998). Toujours à l’Est du Rhône, plus au Sud, on rencontre les habitats moustériens du Vaucluse, parmi les plus importants : le Bau de l’Aubesier, l’Abri de la Combette et Bérigoule (site de plein-air). Au Bau de l’Aubesier, trois grandes unités biostratigraphiques d’âge différent ont été mises en évidence par Ph. Fernandez (2001, 2006) : les niveaux I et J les plus profonds caractérisés par l’association Hemitragus cedrensis et Equus mosbachensis correspondant au stade isotopique 6 du Riss III ; l’association Hemitragus cedrensis et Equus taubachensis suggère un âge éémien (stade 5 e) pour le niveau H et dans le niveau 4 et les couches sus-jacentes, l’association Capra caucasica avec Equus sp. marquerait le Würm ancien et les stades isotopiques 5d à 5a. Les données des datations par thermoluminescence faites sur une demi-douzaine de silex brûlés issus de la couche H1 ont abouti à l’estimation d’une fourchette comprise entre 191 +/- 15 ka et 169 +/- 17 ka, donc un peu plus ancienne que celle révélée par la biostratigraphie (Lebel et al., 2001 ; Fernandez, 2004a). A la Combette, les mêmes méthodes de datation ont donné un intervalle de temps compris entre 43 +/- 4 ka et 67 +/- 10 ka pour l’ensemble des dépôts sédimentaires (Valladas in Texier et al., 2003). L’occupation de cet abri se serait donc échelonnée de la fin du stade isotopique 4 au stade 3. Dans l’attente de datations radiométriques, la chronologie relative du site correspondrait aux principaux événements tempérés précédent le dernier glaciaire (antérieure à 75 ka ; Brugal et al., 1994). A environ trente kilomètres au sud-est des Peyrards, le long de la vallée de la Durance, s’ouvre la grotte de l’Adaouste (Bouches-du-Rhône). L’occupation de ce gisement par les hommes daterait, selon les données biostratigraphiques, du tout début de la dernière grande glaciation (Würm I ; Defleur et al., 1994b). Enfin, l’attribution chronologique du remplissage de la Grotte des Cèdres place celui-ci durant l’avant-dernière glaciation du Riss (Defleur & Crégut-Bonnoure (dir.), 1995).

Au même niveau que la grotte de l’Adaouste, de l’autre côté du Rhône, à un peu plus de soixante-dix kilomètres à l’Ouest du fleuve, le site de l’Hortus livre un remplissage essentiellement constitué de niveaux des Würm I et II déposés sur environ huit mètres d’épaisseur (Lumley, 1972b). Le site d’Orgnac 3 (Ardèche) est situé à quelques kilomètres de la Baume Flandin. Bien que sortant par son ancienneté (350 à 280 ka) du cadre chronologique des sites précédemment cités, il appartient par son type de débitage (Levallois) à une industrie du Paléolithique moyen (Moncel & Combier, 1992). C’est le plus ancien site paléolithique en place dans le Sud-Est de la France.

Replaçons les sites dans leur contexte paléoenvironnemental

La diversité des espèces animales rencontrées dans les gisements étudiés de part et d‘autre du couloir rhodanien permet d’avoir une idée des biotopes ayant existé lors des occupations humaines successives. En revanche, il est plus difficile d’évaluer la vitesse de variation (disparitions, migrations, occupations…) des populations de grands et de moyens herbivores lors des changements climatiques majeurs. Nous définirons donc les principaux milieux côtoyés par l’homme de Néanderthal dans cette partie du Sud-Est de la France, et ceci au cours d’un vaste intervalle de temps s’étalant de l’avant-dernière glaciation, il y a un peu plus de 200 000 ans, à la veille de l’arrivée des hommes modernes, il y a environ 30-35 000 ans. Les sites ardéchois, de la grotte de Payre, au Nord, à la Baume Flandin, à l’extrême Sud du département, comme le site vauclusien des Peyrards, offrent une grande richesse en grands et en moyens herbivores. Cette richesse permet de définir trois grands types d’environnements avec lesquels les groupes humains du Paléolithique moyen de cette région ont pu coexister pendant différentes périodes d’occupation :

Les autres gisements importants du Paléolithique moyen de cette zone géographique déjà cités dans le cadre chronologique nous livrent également des indications sur les paléoenvironnements, mettant en évidence les mêmes types de niches écologiques précédemment décrites.

Au Nord du département de l’Ardèche, le long du couloir rhodanien, le site de la grotte Néron se rapproche des faunes des niveaux supérieurs du Maras et du Figuier par sa prépondérance en renne et par la présence de chevaux et de bisons des steppes. Sa liste de faune froide renferme également du rhinocéros laineux, de façon similaire à celle de Balazuc (Crégut-Bonnoure, in Defleur et al., 1994a). L’abri Moula offre une faune d’herbivores plus diversifiée assez similaire à celle de Saint-Marcel, de Flandin et des niveaux inférieurs du Maras, avec des espèces forestières, comme le cerf, le chevreuil, le daim, l’aurochs ou le sanglier, des espèces rupicoles, telles que bouquetins et chamois, et enfin des espèces de faune plus froide, avec la persistance discrète du renne dans tous les niveaux (Crégut-Bonnoure & Guérin, 1986 ; Crégut-Bonnoure, in Defleur et al., 2001). Chevaux, rennes et bouquetins sont les espèces les plus fréquemment rencontrées dans les gisements de Haute-Loire, caractérisés par des environnements plutôt froids et secs (Raynal et al., 2005, 2007).

De l’autre côté du Rhône, la grotte Mandrin fournit une faune où le cheval domine, associé à quelques restes de bouquetins, de chamois, d’hydruntin, d’un cervidé indéterminé (cerf ou daim ?) et d’un grand Boviné (cf. bison). Le renne est absent (Brugal, in Giraud et al., 1998). Dans le Vaucluse, à l’abri de la Combette, le cheval domine le spectre des herbivores. Comme dans le site des Peyrards, qui se situe à seulement quelques kilomètres de l’abri de la Combette, cet ongulé pouvait se rencontrer sur les plateaux du Lubéron et dans les vallées du Cavalon ou de la Durance. Il est suivi par le bouquetin, dont l’environnement escarpé du site offrait son biotope préférentiel, et par le cerf, le chevreuil et l’aurochs, qui illustrent quant à eux les milieux plus boisés. Au Bau de l’Aubesier, la forte proportion de chevaux, d’aurochs et de tahrs (dans les niveaux les plus anciens) et de bouquetins du Caucase (niveaux plus récents) font de ces quatre espèces les proies privilégiées des chasseurs néanderthaliens. Les deux dernières étaient présentes lors des occupations humaines dans les abords escarpés du site, représentés par le canyon de la Nesque. Chevaux et aurochs peuplaient le haut plateau surplombant l’abri ainsi que le bassin d’effondrement de Sault. Les espèces secondaires rassemblent les rhinocéros de prairie, qui devaient évoluer dans ces paysages de plateaux constitués de prairie-parcs, et les cerfs, mégacéros, daims, chevreuils et sangliers, qui occupaient sans doute les milieux forestiers des fonds de vallée et plateaux environnants, et enfin les rennes, présents seulement dans la partie supérieure du remplissage, qui indiquent, associés aux chamois et aux bouquetins, un refroidissement du climat (Crégut-Bonnoure et al., 1994 ; Fernandez et al., 1998 ; Fernandez, 2001, 2004a,b, 2006). A l’Adaouste, l’étude de la faune suggère un environnement compartimenté induit par un climat assez tempéré. E. Crégut-Bonnoure (in Defleur et al., 1994b) observe l’association de groupes de milieux boisés (cerfs, chevreuils et sangliers), de groupes de milieux plus dégagés (chevaux, bisons et rennes) correspondant aux plateaux ou à la vallée de la Durance et d’espèces rupicoles vivant dans le milieu rocheux abrupt aux alentours du site (bouquetins et chamois). Dans la Grotte des Cèdres, le groupe rupicole domine largement les herbivores avec une dominance écrasante du tahr et la présence du chamois. Viennent ensuite d’autres espèces typiques d’un environnement plutôt forestier et plus frais que froid avec, par ordre d’importance, le chevreuil, le cerf et le sanglier ; puis chevaux et Bovinés complètent l’association des herbivores, illustrant des paysages plus découverts. Le seul élément réellement caractéristique d’un climat froid est un radius de renne, mais ayat été découvert dans des éléments remaniés il n’a pas pu être replacé dans la stratigraphie générale (Defleur & Crégut-Bonnoure, in Defleur & Crégut-Bonnoure (dir.), 1994).

Dans l’habitat de l’Hortus, situé sur une corniche escarpée,le bouquetin (Capra caucasica) est l’espèce de très loin la mieux représentée. Elle est suivie par le cerf, le chevreuil et le rhinocéros de Merck, témoignant de la présence de milieux boisés, par le cheval (Equus germanicus), l’aurochs et l’hydruntin, illustrant un environnement ouvert non arctique, et par le renne (quelques restes dans des niveaux remaniés) qui attesterait d’un climat plus rigoureux entraînant la présence de zones steppiques (Pillard, in Lumley et al., 1972 ; Boulbes, 2003). Ce spectre d’herbivores n’est pas sans rappeler ceux des Peyrards, de Balazuc et de l’abri des Pêcheurs. A Orgnac, les Cervidés dominent, comprenant cerfs, chevreuils et daims, suivis des chevaux, des bisons et aurochs, des tahrs, des sangliers et des rhinocéros de prairie. La part des premiers diminue dans les niveaux supérieurs, au profit des chevaux et des bisons, indiquant un climat plus aride (Moncel & Combier, 1992 ; Forsten & Moigne, 1998). L’analyse paléontologique faite par J.-P. Gerber (1973) sur les grands mammifères de plusieurs sites du Sud-Est de la France du Würm I, dont ceux de La Calmette (Gard) et du Pié-Lombard (Alpes-Maritimes), et du Würm II tels que ceux de l’Hortus (fossé) et du Salpêtre de Pompignan (Hérault), a notamment permis de mettre en évidence une aridité et un refroidissement croissant de la première à la deuxième phase du Würm ancien. Dans ces sites le développement des espèces de faune froide dans les niveaux du Würm II, comme les rennes et les chevaux, dénote cet important changement climatique (Gerber, 1973). Ce dernier a par la suite été observé grâce à l’étude sédimentologique de plusieurs séquences stratigraphiques de gisements du Bas-Vivarais attribués à cette période (Debard, 1988).

D’autres petits mammifères que nous n’avons généralement pas pris en compte dans notre étude peuvent également donner des indications sur les paléoenvironnements. C’est notamment le cas de la marmotte, plutôt indicateur d’un climat rigoureux. Elle est présente dans les niveaux supérieurs du Würm II des Peyrards, à la Baume Néron, à la grotte Mandrin, à la Combette et à Balazuc. Le castor quant à lui est révélateur de la présence d’un cours d’eau à courte distance. C’est notamment le cas dans les sites où il est représenté : aux Pêcheurs, à Balazuc, dans l’ensemble F de Payre, à la Baume Flandin et à l’Adaouste.La tortue d’Hermann ne tolère pas des températures trop basses et sa présence suggère des périodes estivales assez chaudes (Cheylan, 1981). Outre le site de la Baume des Peyrards où nous l’avons rencontrée, elle apparaît aussi à l’Adaouste, à la Masque et, plus au Nord, de l’autre côté du Rhône, à l’abri Moula. A toutes les époques, le lapin de garenne est présent, parfois même en abondance comme aux Peyrards, à la Combette, à l’Adaouste ou encore à l’Hortus. Le lièvre, beaucoup plus rare, est toutefois présent dans certains sites comme à Flandin et à la Baume Néron (Brugal & Crégut-Bonnoure, 1994 ; Crégut-Bonnoure, Daujeard & Boulbes, in Moncel et al., sous-presse).

Les Carnivores de nos sites révèlent la diversité de cet ordre dans les habitats des Néanderthaliens. Le loup est le plus commun. On le rencontre de façon assez abondante dans les grottes des Pêcheurs, de Balazuc et des Cèdres, qui ont dû fréquemment lui servir de tanière, et plus rarement à l’Hortus, aux Peyrards, à l’Aubesier, à la Combette, à Orgnac 3, au Figuier, au Maras (couche l, 1 seul reste), à Payre (F), à Saint-Anne 1, à Mandrin, à Néron et à Moula. Le renard est aussi très fréquent. A ces deux Canidés, il faut ajouter le dhôle, plus rare, représenté aux Peyrards, à la Combette, dans l’ensemble F de Payre et à Moula. Cette espèce est en général assez caractéristique des environnements forestiers. Durant les climats plutôt tempérés favorisant les milieux boisés, on trouve aussi l’ours brun (Peyrards, Aubesier, Adaouste, Payre (F), Cèdres où il est accompagné de l’ours du Tibet), le lynx (Peyrards, Hortus, Adaouste, Orgnac 3, Payre (F), Cèdres) et le chat sauvage (Balazuc, Moula, Orgnac 3, Payre (F), Cèdres). La panthère est assez anecdotique dans les gisements paléolithiques moyens (Balazuc, Moula, Payre (F), Hortus, Adaouste). L’ours et l’hyène des cavernes ont souvent occupé les porches de grotte assez profonds pour hiberner ou comme repaire, c’est le cas dans la couche u de Saint-Marcel et à l’Hortus pour l’ours des cavernes, dans l’ensemble F de Payre, à la grotte du Figuier, à la Baume Flandin, à Orgnac 3 et aux Pêcheurs pour les deux espèces (ours de Deninger à Flandin et dans les niveaux inférieurs d’Orgnac 3). Le lion des cavernes a été identifié seulement à Payre (F), à Orgnac 3 et au Bau de l’Aubesier, où il est mentionné dans la liste faunique de H. de Lumley (1969) ainsi que dans les travaux de Ph. Fernandez (2001 ; 2006). Quelques sites ont livré des Mustélidés tels que blaireaux, martes, hermines et fouines.