Introduction Générale

Comprendre une phrase consiste à traduire un signal sonore (ou visuel) en une représentation mentale. Les phrases sont plus ou moins complexes et, parmi les sources de difficulté de traitement, les ambiguïtés sémantiques ou syntaxiques ont fait l’objet d’une littérature importante (Fuchs, 1996 ; Tanenhaus & Trueswell, 1995).

L’exemple (1) illustre un cas d’ambiguïté totale à l’écrit : le sens et les rôles syntaxiques des différents constituants sont ambigus ; aucun indice ici ne permet ni de lever l’ambiguïté ni de ne conserver qu’une seule interprétation.

(1)Le boucher sale la tranche.

Si le boucher est de toute évidence le sujet de la proposition, sale peut être interprété de deux façons. Si sale est analysé comme adjectif, le clitique la est l’objet du verbe tranche. Si sale est identifié comme le verbe fléchi, la tranche est par conséquent l’objet de ce verbe. À l’écrit, l’ambiguïté est totale puisque aucune information sémantique ou syntaxique ne permet de choisir entre les deux interprétations possibles. À l’oral, par contre, la prosodie peut lever cette ambiguïté (Pynte & Prieur, 1996 ; Schafer, Speer, Warren, & White, 2000).

L’ambiguïté est parfois temporaire. Au début de la phrase, deux interprétations sont possibles, mais un constituant ultérieur ou des informations sémantiques signalent qu’une seule interprétation est correcte. Une telle conception suppose que l’intégration des constituants de la phrase est incrémentale, un constituant après l’autre.

Une phrase comme (2) est temporairement ambiguë. Marie est le sujet et repassait le verbe de la proposition subordonnée introduite par pendant que. En français, l’ordre des mots canonique est sujet, verbe puis objet. Sa jupe est alors intégré comme l’objet de repassait, mais est tombée rend cette interprétation impossible. Il s’avère alors nécessaire de ré-analyser la phrase en intégrant sa jupe non pas comme l’objet de repassait, mais comme le sujet du verbe de la principale est tombée.

(2)Pendant que Marie repassait sa jupe est tombée.

Il existe un type d’ambiguïté lié à la relativisation, lorsque la proposition relative peut être potentiellement attachée à deux antécédents, comme dans (3). La relative (qui a eu un accident) a pour antécédent soit fille, soit colonel.

(3)Le journaliste interroge la fille du colonel qui a eu un accident. (adapté de Cuetos & Mitchell, 1988)

Des études en psycholinguistique ont montré l’existence de préférences d’attachement dans diverses langues et des théories ont été proposées pour expliquer les traitements cognitifs guidant l’interprétation, la compréhension. Ces théories ont longtemps été confrontées au problème de la variation translinguistique mesurée expérimentalement. En effet, pour des langues comme le français ou l’espagnol,dans une phrase comme (3),les locuteurs préfèrent considérer que l’antécédent de la proposition relative est le premier nom, la fille. Des expériences en anglais ont pu mettre en évidence que les locuteurs préféraient attacher la proposition relative au second nom, colonel. L’explication la plus souvent retenue est l’application de différentes stratégies ou l’effet de certaines variables qui diffèrent selon les langues. Cependant, ces théories n’expliquent pas les différences qui peuvent être mesurées pour une même langue.

L’objectif de ce travail de thèse est de proposer une explication nouvelle des préférences d’attachement pour ce type de structure. Je propose que la forme des constituants tels que les antécédents et le relativiseur peut guider l’interprétation. La forme du relativiseur signale le degré d’accessibilité de son antécédent, elle-même signalée par la forme de ce dernier. Mais avant de présenter plus en détail les hypothèses formulées sur les facteurs qui pèsent sur la forme du relativiseur et qui ont guidé ce travail, je vais d’abord décrire le cadre théorique d’où émerge la problématique qui sous-tend ma recherche. Après une brève introduction sur ce qu’est la relativisation, je dresse une revue de la littérature sur le traitement des ambiguïtés syntaxiques, en focalisant sur celles qui expliquent les mécanismes mis en jeu lors de l’interprétation d’une phrase contenant une relative dont l’attachement est ambigu, cf. (3).

Je fais ensuite un inventaire des études sur les anaphores qui peuvent proposer un regard nouveau sur le traitement des ambiguïtés d’attachement des propositions relatives qui motive cette recherche.

Les hypothèses de travail qui seront présentées par la suite sont évaluées à l’aide de méthodes expérimentales classiques en psycholinguistique. Tout d’abord, une étude de questionnaire évalue les préférences d’attachement en français dans une tâche de compréhension. Elle est suivie d’une étude de corpus qui fournit une perspective axée sur la production langagière. Enfin, une étude utilisant le paradigme d’auto-présentation segmentée permet d’obtenir des données sur le traitement cognitif lors de la compréhension de phrases contenant des relatives dont l’attachement est ambigu.