2. 1. 2. Les relations entre les antécédents

Afin d’évaluer l’effet de la structure thématique sur les préférences d’attachement, Gilboy et al. (1995) manipulent les relations entre N1 et N2 dans une structure « N1 de N2 », mais aussi « N1 avec N2 » (voir aussi Thornton, Gil, & MacDonald, 1998).

Les résultats des questionnaires mettent en évidence que dans le cas où les deux antécédents sont non-animés, le site d’attachement préféré est N1 pour les relations de substance (the sweater of cotton, le sweater de coton) et de quantité (the glass of water, le verre d’eau). Il n’y a pas de préférence avec une relation de possession (the museum of the city, le musée de la ville) ou une relation dite de représentation (the etching of the sculpture, la gravure de la sculpture). La proposition relative est attachée plus fréquemment à N2 avec des relations de possession inhérente (the branch of the tree, la branche de l’arbre). Ces résultats mettent en évidence que selon les relations entre N1 et N2, la proposition relative peut plus ou moins fréquemment être considérée être un modifieur de N2.

Enfin, la dernière relation présente non plus la préposition of (de), mais with (avec en français, the steak with the sauce, le steak avec la sauce). C’est ici qu’on observe la plus grande proportion d’attachements vers N2 (83 % en espagnol et 69 % en anglais). La relation, le lien entre N1 et N2 est considéré plus fort avec la préposition de qu’avec la préposition avec (pour une comparaison de ces deux prépositions, voir aussi Solomon & Pearlmutter, 2004).

Ces résultats sont de façon générale concordants avec ceux obtenus dans d’autres expériences qui utilisent une structure identique en français (Baccino et al., 2000) et en italien (De Vincenzi & Job, 1993, 1995). Notons aussi que Frenck-Mestre et Pynte (2000a) observent l’influence de structures « N1 avec N2 » sur le traitement de structures « N1 de N2 ». En effet, la préférence pour attacher la proposition relative à N2 est très forte quand elle est précédée par « N1 avec N2 ». Si les participants traitent d’abord ce type de phrases, puis les phrases avec « N1 de N2 », les attachements à N2 sont alors plus fréquents, par comparaison à la condition où ces phrases ne sont pas précédées de celles contenant « N1 avec N2 ». Cette influence des prépositions est aussi répliquée dans les études présentant conjointement ces deux types de structures, puisqu’elles mettent en évidence des attachements vers N2 plus fréquents avec une structure comme « N1 de N2 » (Baccino et al., 2000 ; De Vincenzi & Job, 1993, 1995), pour des langues où on observe habituellement une préférence pour N1 (Clifton, 1993 ; Cuetos & Mitchell, 1988 ; Frenck-Mestre & Pynte, 1997 ; Zagar et al., 1997).

L’effet du type de préposition s’explique par le fait qu’avec of, N2 est un argument de N1. Par contre, N2 n’est plus l’argument de N1 lorsqu’il est précédé de with, il devient un modifieur de N1. Le lien entre N1 et N2 est moins fort, ce qui facilite les attachements vers N2 (Frazier & Clifton, 1996, p. 73). Cette question de la relation entre N1 et N2 en fonction de la préposition sera détaillée plus tard dans la partie consacrée à la construal hypothesis (voir Chapitre 1, section ).

Enfin, un des arguments avancé par Frazier et Clifton (1996) pour expliquer les différences de préférence d’attachement en anglais et en espagnol (Cuetos & Mitchell, 1988) est qu’en anglais, contrairement à l’espagnol, il est possible d’exprimer le génitif d’une autre façon, avec le génitif saxon (the colonel’s daughter au lieu de the daughter of the colonel), qui est d’ailleurs la forme préférée si le possesseur est une entité animée (Rosenbach, 2005). Dans ce cas, l’attachement est non ambigu (vers daughter). D’un point de vue pragmatique, on peut supposer qu’un locuteur respecte une des maximes de manière, « be clear » (« évitez de vous exprimer de manière obscure », d’après Grice, 1975, voir Sperber & Wilson, 1989). Par conséquent, le locuteur évite toute forme d’ambiguïté. Ainsi, il préfère le génitif saxon comme dans (18b), car l’attachement est non ambigu : N2, daughter, est le seul antécédent possible. Le destinataire, lui, suppose que le locuteur suit la maxime de clarté et que l’utilisation d’une phrase comme (18a) est intentionnelle, c’est-à-dire qu’il infère que le locuteur ne veut pas signaler un attachement à daughter, auquel cas (18b) aurait été approprié, mais un autre attachement, à colonel. C’est pour cette raison que les participants en anglais préfèrent attacher les propositions relatives à N2, pour des structures « N1 de N2 ».

(18)a. The journalist interviewed the daughter of the colonel who had had the accident. (Le journaliste interroge la fille du colonel qui a eu un accident, tiré de Cuetos & Mitchell, 1988)

b. The journalist interviewed the colonel’s daughter who had had the accident. (traduction identique, mais avec un génitif saxon)

Le génitif saxon existe aussi en néerlandais et en allemand, même si son usage est plus limité. Par exemple, il sera presque exclusivement utilisé avec un nom propre en néerlandais (Peters dochter, la fille de Pierre). Cependant, c’est une préférence pour attacher la relative à N1, contrairement à N2 en anglais, qui est observée dans ces langues avec une structure « N1 de N2 » (Brysbaert & Mitchell, 1996 ; Hemforth et al., 2000).