2. 2. L’accessibility theory

L’accessibility theory (théorie de l’accessibilité) développée par Ariel (1990, 1996, 2001) postule, comme pour la givenness hierarchy, que la forme de l’expression référentielle signale l’accessibilité en mémoire de l’entité à laquelle il est fait référence. Cette théorie s’inscrit parmi les différentes approches qui ont été vues jusqu’à présent. Tout d’abord, la hiérarchie d’accessibilité repose sur des critères aussi bien pragmatiques (Gundel et al., 2000 ; Sperber & Wilson, 1989 ; M. A. Walker, Joshi, & Prince, 1998) que sémantiques (Givón, 1992 ; Hobbs, 1979 ; Levinson, 1987a). Ariel minimise l’influence des critères syntaxiques dans sa hiérarchie d’accessibilité (Ch. 6, Ariel, 1990), bien qu’elle ne réduise pas les stratégies syntaxiques comme le c-commande à une stratégie du discours ainsi que le propose van Hoek (1995, Reinhart, 1983, voir Heim, 1998).

En raison de la variabilité inter-langue de la disponibilité des différentes formes anaphoriques (p. ex. zéro, pronoms), la forme de l’expression référentielle et l’accessibilité du référent ne sont pas strictement liées. Ainsi, une langue qui n’aurait pas à sa disposition d’anaphore zéro (autorisée ou non selon la fonction grammaticale) peut cependant signaler un référent très accessible, tout comme une langue qui en disposerait.

La hiérarchie d’accessibilité proposée est la suivante, du marqueur signalant une très grande accessibilité (zéro) à celui qui signale une faible accessibilité (d’après Ariel, 2001)17 :

Une comparaison rapide entre l’accessibility hierarchy et la givenness hierarchy montre que, dans la première, les indéfinis sont exclus, ce qui place les groupes nominaux avec un article défini à un niveau d’accessibilité bien plus bas qu’ils ne le sont sur la givenness hierarchy (voir aussi Chafe, 1974, 1996 ; M. A. Walker & Prince, 1996).

Notons que dans sa première version de l’accessibility hierarchy, Ariel (1990) place comme marqueur signalant un haut niveau d’accessibilité les trous syntaxiques, les pronoms réfléchis et les traces wh. Elle met aussi sur deux niveaux distincts les pronoms personnels à la première et deuxième personne d’un côté, ceux à la troisième personne de l’autre. Les premiers sont considérés comme ayant un niveau d’accessibilité intermédiaire contrairement aux pronoms à la troisième personne qui ont un niveau d’accessibilité élevée. La version plus récente de la hiérarchie (Ariel, 2001), détaillée plus haut, exclut ces formes d’expressions référentielles et cette distinction au niveau des pronoms.

Les expressions référentielles fonctionnent comme des marqueurs d’accessibilité de l’antécédent. Le niveau d’accessibilité est influencé par quatre facteurs (Ariel, 1990). Tout d’abord, plus la distance entre une expression référentielle et une anaphore croît, plus le niveau d’accessibilité diminue. La compétition est un deuxième facteur : plus il y a d’entités auxquelles l’anaphore peut faire référence, plus l’accessibilité décroît. L’unité, c’est-à-dire si les deux références sont dans le même cadre, point de vue ou paragraphe, intervient aussi dans l’accessibilité. Enfin, la saillance, entité topique ou non, joue un rôle important dans le niveau d’accessibilité du référent : elle n’est pas tant déterminée par la saillance physique de ces expressions référentielles que par la saillance de l’antécédent dans le discours. Cette saillance dépend de trois éléments, l’informativité, la rigidité et l’atténuation (Ariel, 1990, 1996, 2001).

L’informativité (Giora, 1988) désigne la quantité d’information lexicale ; par nature un pronom ou un groupe nominal complexe sont plus informatifs que le zéro. La rigidité traduit la possibilité de sélectionner un référent unique à partir d’une expression référentielle. Elle permet de distinguer les pronoms des première et deuxième personnes, qui sont plus facilement identifiables (par le locuteur et l’allocutaire) qu’un pronom à la troisième personne. La rigidité régit aussi la distinction entre les noms propres et les descriptions avec article défini. Enfin, l’atténuation traduit les différences quant à la taille phonologique, pour des expressions référentielles qui ont le même degré d’informativité. La prosodie est aussi un facteur de l’atténuation, puisque, grâce à elle, on distingue les pronoms accentués de ceux qui ne le sont pas. Et cela a un effet sur l’accessibilité (Ariel, 1988). Plus l’expression référentielle est informative, rigide et moins elle est atténuée, plus sa position sur l’accessibility hierarchy est faible et signale un antécédent peu accessible.

Selon leur degré d’accessibilité, les référents vont être activés à divers niveaux de la représentation mentale du discours (Kintsch & van Dijk, 1978). Ainsi, un référent très saillant, très accessible, appartient au thème discursif global ; les référents ayant un faible niveau d’accessibilité sont non thématiques et les référents ayant un niveau d’accessibilité moyen appartiennent au thème de discours local.

Ariel (2001) suggère que l’accessibilité n’est pas uniquement influencée par la distance référentielle entre deux références à une même entité, contrairement à ce que propose Givón (1992). Si la distance (O’Brien, Raney, Albrecht, & Rayner, 1997) a un effet sur l’accessibilité (Ehrlich, 1980 ; Ehrlich & Rayner, 1983) et la forme de l’expression référentielle (Ehrlich, 1981 ; Givón, 1992 ; Yule, 1981), le rôle grammatical (Halmari, 1996), la saillance thématique, mais aussi les différentes frontières du discours (phrases, paragraphes) et le nombre de références à cette entité exercent aussi une influence sur l’accessibilité des entités (Ariel, 1990 ; Toole, 1996). De plus, le caractère animé du référent (Dahl & Fraurud, 1996) a un effet sur la forme de l’expression référentielle, puisqu’un pronom à la troisième personne sera plus fréquemment employé pour une entité humaine que non humaine.

Toole (1996) réalise une analyse de corpus où l’accessibilité est calculée en fonction de la distance référentielle, de la compétition entre les référents, de la saillance de ces derniers ainsi que de l’appartenance à un même fragment de phrase. Les résultats confirment la hiérarchie proposée par Ariel (1990, 2001). En effet, on observe que plus une entité est accessible plus la forme de l’expression référentielle est réduite.

Si l’on reprend l’accessibility hierarchy, une entité a une position élevée à condition que plusieurs références aient été faites (Albrecht & O’Brien, 1991). Cependant, si cette entité fait partie du thème discursif global, il est possible d’utiliser une expression référentielle haute dans la hiérarchie malgré un nombre restreint de références. Il s’exerce aussi une compétition entre les différentes entités du discours (J. E. Arnold & Griffin, 2007 ; O’Brien & Albrecht, 1991) : plus il y a de référents dans le discours, plus leur niveau d’accessibilité est faible.

Les pronoms sont relativement peu informatifs et surtout courts (i. e. atténués) et se trouvent relativement hauts dans la hiérarchie. Les groupes nominaux sont plus longs, moins rigides et moins atténués et ont un niveau hiérarchique plus bas. Si une expression référentielle est utilisée de façon à signaler le niveau d’accessibilité correct, utiliser une expression référentielle correspondant à un niveau bien plus bas dans la hiérarchie consiste à donner trop de précisions et surtout à indiquer un changement de niveau de thème discursif (Expérience 3, Vonk, Hustinx, & Simons, 1992). Cette surinformation fait écho à l’effet de repeated name penalty (cf. centering theory).

Kleiber (1990) propose que l’acceptabilité d’une anaphore n’est pas uniquement liée à l’accessibilité de l’entité référée. Dans les exemples (33) ou (38), on a vu que la première mention d’une entité est généralement réalisée avec un GN contenant un article indéfini. Une fois que cette entité fait partie du discours, les références ultérieures sont un pronom ou un GN avec un article défini, comme dans (43a-c).

(43)Un avion s’est écrasé hier à New York.

a. Il transportait 100 personnes.

b. L’avion transportait 100 personnes.

c. Cet avion transportait 100 personnes. (d’après Kleiber, 1990)

Les trois expressions référentielles, il, l’avion et cet avion sont tout à fait acceptables et signaleraient des niveaux d’accessibilité différents. Pour une phrase initiale identique, ces expressions référentielles, signalant un niveau d’accessibilité important (44a-b), ne sont plus correctes. Le niveau d’accessibilité de l’entité lors de la première référence (un avion) ne suffit pas expliquer le choix de l’expression référentielle dans la proposition suivante (44a-c).

(44)Un avion s’est écrasé hier à New York.

a. ? Il relie habituellement Miami à New York. 18

b. ? L’avion relie habituellement Miami à New York.

c. Cet avion relie habituellement Miami à New York. (idem)

Kleiber (1990) suggère que des contraintes sémantiques ou pragmatiques interviennent en plus de l’accessibilité.

Enfin, Ariel (1990, 2001) place les pronoms et les zéros sur deux niveaux d’accessibilité distincts. Une série d’expériences en langue chinoise évalue l’effet de repeated name penalty (Yang, Gordon, Hendrick, & Wu, 1999), qui est observé seulement quand l’anaphore est un GN, mais pas lorsqu’il s’agit d’un pronom ou d’une anaphore zéro, qui ne diffèrent pas entre eux. Ce dernier résultat montre que ces deux expressions référentielles ne signalent pas un niveau d’accessibilité ou de proéminence différent. Les auteurs proposent qu’il s’agit d’une différence stylistique ou articulatoire.

Notes
17.

Les expressions référentielles sont soulignées dans les exemples. Si ces derniers sont tirés de Toole (1996), ils sont précédés d’un T. Les autres sont construits par moi-même à partir de la description d’Ariel (1990).

18.

Le « ? » signifie que la phrase n’est pas agrammaticale, mais n’est pas satisfaisante.