2. 5. 3. La centering theory et le traitement des propositions relatives

La centering theory propose une explication de la forme des expressions anaphoriques d’un énoncé à l’autre, plus que d’une proposition à l’autre. C’est tout particulièrement le cas dans l’approche de Brennan et al. (1987) puisque l’algorithme utilisé pour identifier les centres et les transitions ne permet pas de rendre compte de l’interprétation de (50b). En effet, d’après cet algorithme, he devrait faire référence à John qui serait le Cp dans (50a) et par conséquent le Cb dans (50b). Or, les locuteurs interprètent he comme faisant référence à Bill.

(50)a. John criticized Bill,

b. so he tried to correct the fault.

(John a critiqué Bill, alors il a essayé de corriger l’erreur, d’après Stevenson et al., 2000)

Cette préférence d’interprétation s’explique, selon Stevenson et al. (2000), par le fait que le verbe induit un focus sur l’entité Bill et que le connecteur so porte aussi le focus sur les conséquences de la proposition précédente, sur l’entité Bill. L’interprétation est alors basée plus sur des critères sémantiques et pragmatiques que structurels comme avec l’approche de Brennan et al. (1987). La stratégie d’interprétation proposée suggère par ailleurs que le classement des Cf n’est pas actualisé à la fin de la phrase, mais plutôt après chaque constituant, de façon dynamique. Le pronom est interprété, dès sa lecture, comme faisant référence à l’entité dans le focus.

Si la centering theory a pour objectif d’expliquer l’interprétation et l’utilisation des pronoms personnels dans le discours, peut-elle aussi expliquer l’interprétation, i. e. l’attachement, d’un pronom relatif, d’un relativiseur ? Si l’on utilise une perspective dynamique, constituant par constituant, comme celle qui est proposée par Stevenson et al. (2000), la centering theory peut expliquer que, dans de nombreuses langues, on préfère attacher une relative ambiguë à N1. Dans la structure « N1 de N2 », c’est N1 qui est plus dans le focus et le relativiseur sera plus souvent interprété comme faisant référence à la même entité.

Miltsakaki (2004a, 2004b, voir aussi Kameyama, 1998) propose une approche quelque peu différente : les anaphores interphrases subissent des contraintes structurelles, prédites par la centering theory et les anaphores au sein d’une même phrase sont régies par des contraintes sémantiques ou grammaticales, comme le suggèrent Stevenson et al. (2000). Les propositions subordonnées sont considérées comme faisant partie de la même unité discursive que la proposition principale dont elles dépendent. Séparer les propositions subordonnées des principales, (51b) et (51c), conduit à des transitions brutales de Cb (rough shift), suggérant un discours discontinu avec un niveau de cohérence faible.

(51)a. John had a terrible headache. (Cf : John, headache)

b. When the meeting was over, (Cf : meeting, pas de Cb)

c. he rushed to the pharmacy. (Cf : he, pas de Cb)

(John avait un mal de tête affreux. Quand la réunion fut finie, il courut à la pharmacie, d’après Miltsakaki, 2004b)

A contrario, considérer que les deux propositions (51b) et (51c) constituent une unité discursive revient à avoir pour cette proposition deux Cf, the meeting et he, mais aussi un Cb, l’entité John dans (51a) qui est réalisée à l’aide du pronom he. Le centre est alors conservé entre les deux propositions, ce qui est plus cohérent.

Pour des phrases contenant des propositions relatives dont l’attachement est ambigu, le relativiseur, pronom relatif, fera référence à l’entité la plus haute dans la hiérarchie des Cf de cet énoncé. Ainsi, pour (11), le Cf le plus haut dans la hiérarchie est hija et non coronel, aussi que est-il interprété comme faisant référence à l’entité hija.

(11) El periodista entrevisto a la hija del coronel que tuvo el accidente.

Miltsakaki (2004a) suggère aussi que le choix d’utiliser une relative plutôt qu’une autre proposition principale signalerait des entités à faible saillance dans le discours et réduirait la complexité de l’inférence nécessaire au traitement d’une telle proposition.

Les travaux de Warren et Gibson (2002) sont tout particulièrement intéressants pour l’effet de la forme des expressions référentielles dans une relative, bien qu’ils n’étudient pas à proprement parler des références successives à une entité du discours comme la centering theory. Par exemple, dans l’Expérience 4, les participants lisent des phrases qui contiennent une relative enchâssée au centre, (52) avec la technique d’auto-présentation ; des phrases avec une complétive sont aussi testées. Les auteurs émettent l’hypothèse qu’une expression référentielle comme un pronom de la deuxième personne (you) fait référence à une entité présente par défaut dans le discours, alors qu’un GN comme the boy nécessite d’y intégrer une entité nouvelle, ce qui est plus coûteux.

(52)The woman who you/the boy had accidentally pushed off the sidewalk got upset and decided to report the incident to the policeman standing nearby. (La femme que tu/le garçon as/a poussé hors du trottoir s’est énervée et a décidé de signaler l’incident au policier non loin, Warren & Gibson, 2002)

Les pourcentages de réponses correctes aux questions de compréhension qui suivent ces phrases confirment l’hypothèse des auteurs, tout comme les temps de lecture mesurés sur les régions suivant l’expression référentielle (accidentally et pushed off). L’ensemble des expériences présentées dans cet article (Warren & Gibson, 2002) s’accorde avec la centering theory pour reconnaître la complexité du traitement d’un nom par rapport à un pronom, mais aussi un prénom ou un pronom à la première personne. Une telle observation est aussi suggérée par la givenness hierarchy, bien que ces anaphores ne reprennent pas une entité déjà présente dans le discours.

Si on veut évaluer les prédictions attendues selon le parallélisme des fonctions en regard avec les résultats obtenus expérimentalement sur les préférences d’attachement de relatives, force est de constater que, dans les phrases présentées aux participants, N1 a le plus souvent une autre fonction que celle de sujet dans la principale, alors que la proposition relative est toujours sujet. De plus, le parallélisme des fonctions ne peut expliquer la différence d’attachement de la relative lorsqu’elle est précédée par une structure « N1 de N2 » ou « N1 avec N2 » (Baccino et al., 2000 ; De Vincenzi & Job, 1993, 1995).

Parce qu’elle considère les relations des expressions référentielles entre des énoncés et à l’intérieur d’un même énoncé, la théorie de la proéminence du discours permet d’expliquer l’interprétation des propositions relatives dont l’attachement est ambigu.

Cependant, le principe A et celui de c-commande, qui sont utilisés par Gordon et Hendrick (1997) pour expliquer la forme des anaphores, ne permettent pas d’expliquer la présence de préférences d’attachement dans le cas des propositions relatives comme (11).

Par contre, les expériences sur les GN complexes (Gordon & Hendrick, 1998 ; Gordon et al., 1999 ; Ledoux et al., 2007) retiennent l’attention parce qu’elles étudient le traitement d’anaphores, dans des phrases qui comportent un génitif saxon. Pour des énoncés comme (53), Gordon et al. (Expérience 5, technique d’auto-présentation, 1999) manipulent la seconde proposition (53b), qui est ou une subordonnée ou une proposition indépendante qu’il n’est pas nécessaire de représenter ici. Le pronom dans (53b) fait référence soit à l’entité possédante, Bill, soit à l’entité possédée, aunt. Les temps de lecture mesurés au niveau de la phrase critique (53b) montrent qu’un pronom est traité plus rapidement s’il fait référence à l’entité possédée. L’anaphore pronominale fait référence de façon préférentielle à l’entité proéminente.

(53)a. Bill’s aunt owns a lake house

b. where he/ she likes to go swimming.

c. It’s nice to live beside a lake.

(La tante de Bill possède une maison au bord d’un lac où il/ elle aime aller nager. C’est agréable de vivre au bord d’un lac)

Dans le cas des relatives précédées d’un GN avec un génitif saxon, l’interprétation et l’attachement du relativiseur est non ambiguë, et va toujours vers le possédé (Frazier & Clifton, 1996). Une structure « N1 de N2 » est un GN complexe au même titre que celles qui ont été étudiées par Gordon et al. (Gordon & Hendrick, 1997, 1998 ; Gordon et al., 1999 ; Ledoux et al., 2007), « N1 avec N2 » ou le génitif saxon. L’hypothèse de la proéminence des entités pour expliquer la préférence du pronom pour faire référence à une entité permettrait d’expliquer de façon satisfaisante la préférence d’attachement pour N1 qu’on observe dans de nombreuses langues : N1 est plus proéminent que le complément du nom N2.

Dans cette perspective, l’attachement de la relative est guidé par la proéminence des entités du discours. L’étude des préférences d’attachement de propositions relatives apparaît ainsi comme un bon test des prédictions de la théorie de la proéminence du discours, ne serait-ce que parce qu’elle a pour objet d’expliquer les relations anaphoriques à l’intérieur d’une phrase.