1. 2. La définitude

Le degré de définitude26 (présence dans le GN d’un déterminant indéfini, démonstratif ou défini) signale le statut de l’entité référée. Selon Givón (1982, 1990), l’emploi d’un article indéfini dans un GN signale que l’entité référée est nouvelle (cf. Clark, 1975 ; Haviland & Clark, 1974) et qu’il n’est pas nécessaire de la chercher dans le modèle du discours actuel.

De nombreux auteurs (pour une revue voir Epstein, 2002 ; Lambrecht, 1994 ; Reboul, 1997) se sont intéressés au statut référentiel d’un GN avec un indéfini : il est admis qu’un tel GN ne peut faire référence à une entité déjà présente dans le discours (voir les travaux de Russell, présentés par Reboul, 2001), ou bien que l’entité est inconnue du locuteur ou de l’allocutaire (Reboul, 1997).

Pourtant, d’autres chercheurs proposent qu’un GN fait référence à une entité, même avec un indéfini (Donnellan, 1966). Une proposition relative restrictive doit normalement être attachée à une expression référentielle, son antécédent, qui fait référence à une entité déjà présente dans le modèle du discours. De fait, une proposition relative ne peut pas être attachée à un GN avec un article indéfini, puisque par définition ce dernier fait référence à une entité qui ne fait pas partie du système référentiel du discours. De telles constructions existent pourtant et les énoncés produits alors sont compréhensibles, comme (54).

(54)A man I had never seen before came into my office and… (Un homme que je n’avais jamais vu auparavant entra dans mon bureau et…, d’après Givón, 1982)

Une étude en production (Holmes, 1995) montre que des locuteurs de l’anglais et du français produisent des phrases où l’antécédent d’une proposition relative restrictive est un GN avec un article indéfini, dans des proportions non négligeables (respectivement 38 % et 41 % des propositions relatives). L’étude de corpus de Baltazart et Kister (2000) montre aussi que pour des structures « N1 de N2 » en français, pour « N1 défini de N2 indéfini » (le résumé d’une œuvre), 85 % des attachements sont réalisés vers N2. Les locuteurs du français produisent ainsi des propositions relatives dont l’antécédent est un GN avec un article indéfini. Ce type de GN, selon Givón (1982), fait bien référence à une entité qui est dans l’arrière-plan discursif (discourse background).

La givenness hierarchy (Gundel et al., 1993, 2000) considère qu’un GN avec article indéfini est référentiel et signale que le statut cognitif du référent est de type identifiable, le plus bas dans la hiérarchie. Si ce référent ne fait pas partie du discours avant d’être mentionné, il en fait partie dès son introduction par cette expression référentielle. Une telle conception est comparable avec celle de Hawkins (1984). Un GN avec un article défini signale un référent dont le statut cognitif est plus élevé dans la hiérarchie ; l’entité est ici donnée (given), alors qu’elle était nouvelle dans le cas d’un GN avec article indéfini.

Epstein (2002) propose par ailleurs que ni la familiarité ni la qualité d’identifiable de façon unique ne sont nécessaires pour expliquer l’emploi de l’article défini. Ce sont la proéminence du référent et le point de vue non canonique employé dans le discours lors de l’introduction de ce référent qui importent. L’article défini ou indéfini signale en fait le niveau d’accessibilité de ce référent. Ce niveau est faible dans le cas d’un indéfini.

Pourtant, l’accessibility hierarchy (Ariel, 1990, 2001), qui a justement pour objectif de classer les expressions référentielles selon le niveau d’accessibilité qu’elles signalent, omet d’intégrer le cas des GN avec article indéfini. Cette catégorie est cependant prise en compte dans l’évaluation de l’accessibility theory faite par Toole (1996), qui place ce type de GN au plus bas dans la hiérarchie. L’analyse de corpus réalisée montre qu’en effet, un GN avec un article indéfini signale un faible niveau d’accessibilité du référent.

Notes
26.

Pour une présentation en français de cet aspect du langage, voir Creissels (2006).