1. 4. L’ordre des mots

Quand l’ordre des mots n’est pas trop strict, il est possible de mettre en exergue une entité en la plaçant en début de phrase ; elle est alors plus saillante. Par exemple en français (Riegel et al., 2004), le recours à des propositions clivées (c’est à Paul que je parle) ou des dislocations (les italiens, je les aime pas) place le constituant à mettre en valeur en début de phrase. En anglais, où l’ordre des mots est strict, la voix passive place le patient en position de sujet, au début de la proposition (the bird was chased, l’oiseau a été poursuivi, voir Holmes, 1995).

Placer un constituant en début de phrase permet de le situer dans le focus, mais augmente aussi la distance entre cette référence et l’anaphore ultérieure et aurait selon Ariel (1990) un effet sur l’accessibilité de l’entité. Dans les expériences de Gordon et Chan (1995), où la voix est manipulée, les résultats montrent que la repeated name penalty n’est pas influencée par la position dans la phrase de l’entité référée (i. e. la distance), mais plutôt par la fonction grammaticale de cette entité. La repeated name penalty est plus importante quand la première référence a la fonction de sujet dans la première phrase.

Le critère de distance proposé par Ariel (1990) ne suffit pas pour expliquer l’interprétation des anaphores pronominales dans des énoncés comme ceux qui sont étudiés par les tenants de la centering theory.

Selon la recency theory (Gibson, Pearlmutter et al., 1996 ; Gibson et al., 1999), l’ordre des mots dans les langues guide les stratégies d’interprétation utilisées lors du traitement d’ambiguïtés syntaxiques, en particulier les ambiguïtés d’attachement des relatives. Cette théorie repose sur deux principes, la préférence de récence et la proximité du prédicat. Les différences translinguistiques entre les préférences d’attachement de propositions relatives sont expliquées par une différence du poids accordé selon les langues à ces deux principes, cela entrant en relation avec l’ordre des mots propre à ces langues.

En anglais, les locuteurs se basent principalement sur ordre des mots conservateur pour comprendre des phrases, alors qu’en italien par exemple, l’interprétation est fondée sur les informations sémantiques, l’ordre des mots étant plus libre (E. Bates, Devescovi, & D’Amico, 1999; E. Bates, McNew, MacWhinney, Devescovi, & Smith, 1982 ).

En anglais, et dans le cas où l’attachement de la proposition relative est ambigu, c’est la préférence de récence qui a plus d’importance, alors que pour une langue dont l’ordre des mots est plus permissif, en italien ou en espagnol, la proximité du prédicat prédomine (Gibson, Pearlmutter et al., 1996).

Notons aussi que l’attachement préférentiel de la proposition relative à N2 en anglais (Carreiras & Clifton, 1999; Cuetos & Mitchell, 1988 ) n’est peut-être pas lié à la distance minime entre les références à la même entité (N2 et le relativiseur), mais plutôt à la stratégie syntaxique qu’est la préférence de récence.

Pour conclure, les travaux présentés dans cette section suggèrent que l’ordre des mots et la distance que ce dernier induit n’influenceraient pas directement les préférences d’attachement, mais favoriseraient selon les langues l’utilisation d’une stratégie ou d’une autre selon la recency theory.