1. 5. Le contexte référentiel

Des expériences ont montré un effet du nombre de référents sur l’interprétation de phrases syntaxiquement ambiguës (Altmann & Steedman, 1988 ; Altmann et al., 1998 ; Spivey-Knowlton et al., 1993 ; Spivey & Tanenhaus, 1998 ; Tanenhaus et al., 1995) : un groupe prépositionnel est plus facilement interprété comme modifieur d’un nom, une relative réduite, plutôt que par exemple la destination dans (55a), si le nom peut faire référence à deux entités dans le contexte référentiel (deux pommes). Ainsi, si un nom peut faire référence à plus d’une entité, l’interprétation d’une proposition relative comme modifieur est plus fréquente que s’il n’y a qu’une entité. Le contexte référentiel a donc une influence sur l’interprétation d’une proposition relative réduite.

(55)a. Put the apple on the towel in the box. (Mets la pomme (qui est) sur la serviette dans la boîte)

b. Put the apple that’s on the towel in the box. (Mets la pomme qui est sur la serviette dans la boîte, Tanenhaus et al., 1995)

D’après Ariel (1990, 2001), le niveau d’accessibilité d’une entité du discours dépend de la compétition entre référents, du nombre de référents dont une expression référentielle peut être l’anaphore.

Les travaux de Strohner, Sichelschmidt, Duwe et Kessler (2000) ont pour but d’évaluer plus précisément l’interaction entre les éléments du discours et les informations verbales. Dans l’Expérience 1, les participants se voient présenter sur papier des ensembles de trois objets (pyramides et cubes) en dessous desquels se trouve une série de trois instructions (p. ex. marquez un cube sur le côté gauche). Les deux premières instructions servent à mettre le focus sur deux objets et la troisième est la tâche cible. Dans cette dernière instruction, l’objet est désigné par un article défini ou indéfini. Un article défini est incorrect quand deux entités peuvent être désignées par cette expression (le cube quand deux cubes sont présents). Il y a alors une ambiguïté référentielle (ainsi qu’une compétition entre ces entités). De façon similaire, l’emploi d’un article indéfini (un cube) est incorrect quand seul un élément peut être désigné par cette expression. Les autres variables expérimentales sont l’ordre dans lequel les éléments sont dans le focus et la consigne donnée aux participants, à qui on demande soit d’être tolérants, même si l’expression référentielle dans la tâche cible n’est pas correcte (cf. définitude) ou bien au contraire de signaler une instruction correcte. Les résultats montrent que les participants prennent en compte la définitude du GN, choisissant indifféremment un objet quand il est désigné par un article indéfini, d’autant plus qu’ils ont reçu la consigne d’être tolérant vis-à-vis de l’exactitude de l’instruction.

Les travaux sur le traitement des anaphores ont étudié de façon assez étendue les ambiguïtés référentielles, notamment avec la résolution d’anaphores pronominales. Quand deux entités diffèrent en genre et que l’anaphore pronominale est marquée en genre, l’interprétation du pronom est non ambiguë. C’est le cas dans (56), où he fait référence sans ambiguïté à l’entité Craig.

(56)Fiona complimented Craig, and he congratulated James. (Fiona a fait des compliments à Craig et il a félicité James, tiré de Wolf et al., 2004)

Cependant, l’interprétation d’un pronom peut être ambiguë si, par exemple, les deux référents sont du même genre que le pronom (57).

(57)Sophie helped Cathy to prepare the food and Simon chatted to her. (d’après Crawley et al., 1990)

Les stratégies mises en place selon la centering theory ou la théorie du parallélisme des fonctions ont déjà été présentées : un pronom fait référence au sujet de la proposition précédente pour la première et le pronom fait référence à l’entité qui est dans une position parallèle dans la proposition précédente pour la seconde. Si on se réfère à la givenness hierarchy ou à l’accessibility theory, l’emploi d’un pronom signalerait une entité hautement accessible : dans la proposition précédente, il s’agirait du sujet, Sophie dans (57).

Des expériences utilisant la technique des potentiels évoqués ont révélé la présence de marqueurs électrophysiologiques différents en fonction du contexte référentiel. Quand une anaphore est référentiellement ambiguë, i. e. peut référer à deux entités, on observe une négativité prolongée dans les régions frontales pour une anaphore nominale (Nieuwland, Otten, & Van Berkum, 2007 ; Van Berkum, Brown, & Hagoort, 1999a ; Van Berkum, Brown, Hagoort, & Szwitserlood, 2003 ; Van Berkum, Koornneef, Otten, & Nieuwland, 2007) ou pronominale (Nieuwland & Van Berkum, 2006). Quand une anaphore ne fait pas référence à une entité du discours, i.  e. diffère en genre, c’est une P600 qui est observée (Nieuwland & Van Berkum, 2006 ; Osterhout & Mobley, 1995).

L’expérience en IRMf de Nieuwland, Petersson et Van Berkum (2007) met en évidence que le contexte référentiel a un effet sur le traitement des anaphores. En effet, des activations cérébrales dissociées sont observées lorsqu’une anaphore pronominale est ambiguë, cohérente (i. e. ne réfère qu’à une entité) ou incorrecte (l’anaphore n’est pas du même genre que les antécédents), suggérant des traitements cognitifs différents. En cas d’ambiguïté référentielle, les participants évaluent tous les candidats. Quand l’anaphore pronominale diffère en genre par rapport aux antécédents potentiels, ce sont les régions associées au traitement morphosyntaxique qui sont activées (erreur d’accord) ou bien celles associées à l’élaboration d’inférences (Gina R. Kuperberg, Lakshmanan, Caplan, & Holcomb, 2006).

Enfin, Greene, McKoon et Ratcliff (1992) suggèrent que l’entité à laquelle une anaphore pronominale fait référence n’est identifiée correctement de façon automatique que si le focus discursif ne contient qu’un seul référent correct. Si tel n’est pas le cas, le pronom est attaché aux entités possibles, à moins que plus de temps de traitement ne soit disponible pour engager des stratégies particulières (non automatiques).

Le contexte référentiel et la compétition entre entités du discours qui peut exister conduisent à des différences au niveau des traitements cognitifs engagés qui peuvent être influencés par des facteurs discursifs (nombre de référents), sémantiques (forme de l’expression référentielle) ou même syntaxiques (marquage en genre).