2. Problématique et hypothèse théorique

Depuis de nombreuses années, des théories ont étudié le traitement des ambiguïtés syntaxiques, se heurtant à une variabilité translinguistique pour un cas particulier : l’attachement des propositions relatives. Diverses explications ont été proposées, mais n’ont pas nécessairement pris en compte, dans la validation expérimentale de leurs hypothèses, des aspects linguistiques qui peuvent affecter les préférences d’attachement.

Dans la section précédente on a vu que la variabilité du matériel utilisé dans les expériences en compréhension pouvait contribuer à la variation des préférences d’attachement, translinguistique et intra-linguistique. Le lien entre N1 et N2, leur fréquence ou leur modifiabilité (parmi d’autres aspects) influencent les préférences d’attachement. On peut trouver une explication de la variabilité des préférences d’attachement dans les études sur le traitement des anaphores. En effet, ces dernières ont mis en évidence l’importance de divers facteurs sur l’accessibilité des entités du discours, ce qui a un effet sur leur reprise possible dans la suite du discours.

L’attachement de la proposition relative à N1 ou N2 serait ainsi influencé par la différence d’accessibilité entre les deux entités auxquelles N1 et N2 font référence. Cependant, cette interprétation est à l’heure actuelle plus un questionnement qu’une affirmation.

Un autre aspect pourrait contribuer aux variations au sein d’une même langue et permettre une meilleure compréhension de la variation translinguistique : il s’agit de la forme du relativiseur (voir aussi à ce sujet Desmet, Brysbaert et al., 2002). En effet, si l’on reprend les études réalisées en anglais, on observe une différence dans l’attachement selon la forme du relativiseur utilisé. Cette dernière pourrait influencer les préférences d’attachement. On mesure en effet une préférence pour N2 quand la proposition relative est introduite par who (une partie du matériel de Cuetos & Michell, 1988, mais aussi Carreiras & Clifton, 1999). Par contre, une préférence pour N1 (l’autre partie du matériel de Cuetos & Mitchell, 1988) ou une absence de préférence (Traxler et al., 1998) est mesurée avec une proposition relative introduite par that. On pourrait se demander si la forme du relativiseur, plus qu’un biais de l’animation (tel qu’il est proposé par Cuetos & Mitchell, 1988), ne serait pas liée à un niveau d’accessibilité signalé, comme c’est le cas pour les autres expressions anaphoriques. Les résultats de ces expériences ne permettent pas d’affirmer cette idée.

En effet, les hiérarchies d’accessibilité ont montré que la forme d’une expression référentielle signale un niveau d’accessibilité de l’entité à laquelle elle fait référence. De la même façon, on pourrait considérer que la forme du relativiseur, qui est aussi une expression anaphorique, signale le niveau d’accessibilité de son antécédent.

Problématique Ainsi, et de façon plus générale, on peut se poser la question de savoir si les préférences interprétatives sont guidées par les propriétés des constituants de la phrase : l’attachement des propositions relatives est influencé par les propriétés, c’est-à-dire l’accessibilité signalée par le relativiseur et ses antécédents potentiels. C’est le questionnement qui est à l’origine de cette recherche.

Hypothèse théorique : D’après les théories de l’accessibilité, le niveau d’accessibilité de toute entité du discours est signalé par la forme de l’expression référentielle utilisée pour y faire référence. Plus le niveau d’accessibilité est élevé, plus la probabilité pour cette entité d’être reprise dans la suite du discours est importante. Par conséquent, la forme d’une anaphore est d’autant moins réduite et plus informative que cette anaphore fait référence à une entité peu accessible.
À la question soulevée dans la problématique, je propose l’hypothèse théorique suivante : la forme du relativiseur, qui est un marqueur anaphorique, signale le niveau d’accessibilité de son antécédent. Un relativiseur qui est moins atténué et plus informatif se situe à un niveau plus bas dans la hiérarchie d’accessibilité qu’un relativiseur qui est plus atténué et moins informatif et signale un antécédent peu accessible. Dans le cas des ambiguïtés d’attachement des propositions relatives, la forme du relativiseur guide l’attachement, à N1 ou à N2 pour une structure de la forme « N1 de N2 », selon le niveau d’accessibilité de ces antécédents.

Cette hypothèse n’est pas nouvelle dans l’absolu, mais son application dans le cadre des ambiguïtés d’attachement des propositions relatives est innovante et permet de rendre compte des variations translinguistiques et intra-linguistiques observées dans la littérature. De cette hypothèse théorique en découlent d’autres à propos de l’effet de la forme du relativiseur et des antécédents auxquels la proposition relative peut être attachée.

Cependant, avant de présenter les hypothèses opérationnelles qui vont permettre de tester cette hypothèse théorique, je vais préciser l’objet de mon étude.