3. 2. Les hypothèses opérationnelles

Dans la section précédente, j’ai rappelé trois aspects qui d’après Ariel (1990, 2001) varient en fonction du niveau d’accessibilité signalé par l’expression référentielle : atténuation, informativité et rigidité. Comme le dernier ne varie pas dans la structure étudiée, je pose une hypothèse sur l’effet de l’atténuation et celui de l’informativité, à propos de la forme du relativiseur.

Hypothèse 1a, effet de l’atténuation : quand deux types de relativiseurs sont disponibles, par exemple qui et lequel, le relativiseur le moins atténué (lequel) sera attaché de façon plus importante à l’entité du discours, moins accessible que le relativiseur qui est plus atténué (qui). Avec le type de structure étudié ici, je m’attends à ce que l’emploi de lequel au détriment de qui entraîne plus d’attachements vers N1 dans (58b) que qui dans (58a), car l’entité référée par N2 est moins accessible que celle référée par N1.

(58)a. Je connais le père du maçon, qui est amusant.

b. Je connais le père du maçon, lequel est amusant.

Hypothèse 1b, effet de l’informativité : de la même façon, l’emploi d’un relativiseur plus informatif, lequel, signale un attachement à l’entité moins accessible, toujours N2 dans (58).

Ces deux hypothèses seront évaluées en comparant des propositions relatives sujet, introduites par qui ou lequel, ce qui nous procurera un test de l’Hypothèse 1. Le relativiseur lequel est à la fois moins atténué et plus informatif que qui, ce qui laisse prédire un effet cumulatif de ces deux facteurs et devrait conduire à une différence des préférences d’attachement.

Cependant, la comparaison entre qui et lequel ne permet pas de distinguer les deux volets de l’Hypothèse 1 sur l’effet de la forme du relativiseur, l’Hypothèse 1a et l’Hypothèse 1b, puisque atténuation et informativité varient de concert. La comparaison des relativiseurs pour les relatives OI est alors intéressante. En effet, le degré d’atténuation est différent entre à qui et auquel, mais non entre à qui et à laquelle. Si l’Hypothèse 1a est correcte, on devrait observer une différence dans les préférences d’attachement entre à qui et à laquelle, mais non entre à qui et auquel, avec plus d’attachements à N2 pour à laquelle qu’avec à qui. L’étude des relatives OI permettra aussi d’évaluer l’Hypothèse 1b. D’un côté à qui est plus informatif que auquel et à laquelle parce qu’il marque l’animation de l’antécédent et, de l’autre côté, ces derniers sont plus informatifs car marqués en genre et en nombre. De fait, tous ces relativiseurs auraient un niveau d’informativité équivalent. Si c’est la différence d’informativité qui contribue à la différence attendue entre qui et lequel, que le degré d’informativité soit équivalent entre à qui, auquel et à laquelle ne devrait pas mener à des attachements différents.

En ce qui concerne les antécédents, j’ai sélectionné cinq facteurs qui vont influencer le niveau d’accessibilité signalé, ce qui affecte l’attachement de la proposition relative. Je propose une hypothèse pour chacun.

Hypothèse 2a, effet de la longueur de la proposition relative : Fodor (1998) propose que la longueur de la proposition relative a un effet sur son attachement (cf. sausage machine, Frazier & Fodor, 1978). Une proposition relative longue est attachée préférentiellement à N1, une courte à N2.

Si on prend le critère de l’accessibilité comme guidant l’attachement des relatives, on peut poser une hypothèse différente. Une proposition relative longue fournit plus d’informations sur son antécédent qu’une courte. Une entité du discours moins accessible, sur laquelle on dispose de moins d’informations, est alors plus susceptible de recevoir des informations nouvelles qu’une entité très accessible. Selon l’Hypothèse 2a, on s’attend alors à plus d’attachements à l’antécédent moins accessible, N2, avec une relative longue qu’avec une courte.

Hypothèse 2b, effet de la présence d’un modifieur : on l’a vu, le principe de modifiabilité (Thornton et al., 1999) suggère que si N1 est modifié, par un adjectif et par « de N2 », il n’est plus disponible pour être le site d’attachement de la relative. Colonna (2001) invalide cette prédiction en mettant en évidence que la présence d’un adjectif attire en quelque sorte l’attachement au nom qu’il modifie. Selon la hiérarchie d’accessibilité d’Ariel (1990), un GN avec un modifieur (une description selon les termes de l’auteur) est situé plus bas qu’un GN sans modifieur. L’Hypothèse 2a propose que la présence d’un adjectif signale un antécédent moins accessible. Un relativiseur qui signale un antécédent moins accessible, lequel vs qui, sera attaché plus fréquemment à un antécédent modifié.

Hypothèse 2c, effet de l’animation : une entité humaine peut être réalisée de différentes façons : nom complet, propre, prénom, GN avec article défini, pronom, etc. Pour deux entités, N1 et N2, humaines et animées, de la même forme (GN avec article défini), c’est N1 qui est proéminent. Par conséquent, l’emploi d’un relativiseur qui signale une entité moins accessible fait référence de façon préférentielle à l’entité non-animée, pour peu que les relativiseurs disponibles ne restreignent pas l’animation de l’antécédent. Cette hypothèse ne peut donc être formulée pour la comparaison entre à qui et auquel/à laquelle, car l’attachement avec à qui est obligatoirement à un antécédent animé. Par contre, on s’attend à plus d’attachements vers l’entité non-animée avec lequel, quand N1 et N2 diffèrent quant à l’animation.

Hypothèse 2d, effet de la fonction syntaxique : je suggère que plus la fonction syntaxique de N1 est basse dans la hiérarchie suggérée par Givón (1990), plus l’accessibilité de N1 diminue (cf. Ariel, 1999). On peut émettre l’hypothèse que plus la fonction syntaxique de N1 est basse, plus un relativiseur qui signale un niveau d’accessibilité bas sera attaché à N1. De façon inverse, plus la fonction syntaxique de N1 est élevée dans la hiérarchie, plus un relativiseur signalant un niveau d’accessibilité élevé y sera attaché.

Un relativiseur signalant un niveau d’accessibilité bas (p. ex. lequel) sera préférentiellement attaché à N2 quand N1 a une fonction syntaxique élevée (sujet), mais plus d’attachements vers N1 sont attendus quand ce dernier a une fonction syntaxique plus basse (objet direct, indirect et oblique).

Ces hypothèses vont être testées dans une série d’expériences, une étude de questionnaires, une analyse de corpus écrit et une expérience avec le paradigme d’auto-présentation qui vont maintenant être proposées. L’ensemble des hypothèses peut être résumé dans le Tableau 2. Notons que pour les différents aspects de l’Hypothèse 2, c’est la différence d’attachements entre qui et lequel qui nous intéresse, plus que la préférence pour qui.

Tableau 2 : Récapitulatif des hypothèses formulées
    Effets attendus
Hypothèse 1 a. Atténuation Moins le relativiseur est atténué, plus il signale un attachement à un antécédent moins accessible, N2, et moins il signale un attachement à un antécédent accessible
b. Informativité Plus le relativiseur est informatif, plus il signale un attachement à un antécédent moins accessible, N2
Hypothèse 2 a. Longueur Il y a plus d’attachements à l’antécédent moins accessible, N2, quand la proposition relative est longue ; une relative courte sera attachée plus fréquemment à un antécédent hautement accessible.
b. Modifieur La présence d’un adjectif signale un antécédent peu accessible. Il y a plus d’attachements à cet antécédent quand la relative est introduite par un relativiseur qui signale un niveau d’accessibilité faible.
c. Animation Un antécédent animé est hautement accessible et un relativiseur signalant un niveau d’accessibilité élevé y sera attaché plus fréquemment.
Un antécédent non-animé, moins accessible, sera plus fréquemment le site d’attachement d’un relativiseur signalant un niveau d’accessibilité plus bas.
d. Fonction syntaxique Un relativiseur signalant un degré d’accessibilité élevé sera attaché préférentiellement à N1 quand celui-ci remplit une fonction syntaxique élevée (sujet), alors qu’un relativiseur plus bas dans la hiérarchie est attaché à un antécédent dont la fonction syntaxique est basse (objet direct, indirect ou oblique pour N1, génitif pour N2).