Chapitre 2 Étude de corpus

Les théories sur le traitement des ambiguïtés syntaxiques ont majoritairement été éprouvées à l’aide d’expériences en compréhension, en lecture de phrases. Mais les études sur le traitement des anaphores sont basées principalement sur l’observation en production des formes anaphoriques. Les prédictions des théories sur les anaphores sont aussi évaluées en compréhension (notamment la centering theory).

Des travaux sur l’attachement des propositions relatives ambiguës ont cependant pris en considération les productions de telles structures dans les langues. La tuning hypothesis (Mitchell, 1994 ; Mitchell et al., 1995) affirme que les préférences d’attachement en compréhension sont basées sur la fréquence de ces attachements en production (Brysbaert & Mitchell, 1996 ; Dussias & Sagarra, 2007). Cependant, d’autres études, où les données en production (analyse de corpus) et en compréhension (expériences en temps de lecture) sont comparées, tendent à infirmer la tuning hypothesis, tout du moins dans sa version à gros grain (Desmet, Brysbaert et al., 2002 ; Desmet et al., 2006).

Cette étude de corpus se présente comme un test de la tuning hypothesis, mais il est aussi intéressant d’évaluer les prédictions de cette théorie sur l’effet de la forme du relativiseur. A priori, il ne devrait pas y avoir de différence d’interprétation selon que la proposition relative est introduite par qui ou lequel, par exemple. Cette hypothèse est motivée par le fait que, quand bien même il y aurait une différence au niveau des fréquences d’attachements à N1 et N2 selon le type de relativiseur, ce degré d’analyse serait trop fin pour influencer les préférences d’attachement en compréhension.

Les hypothèses formulées dans le cadre de ce travail peuvent aussi être évaluées au cours de cette analyse de corpus, dans une dimension axée sur la production de structures syntaxiquement ambiguës et dans le prolongement des théories sur l’accessibilité. La conjugaison d’études en compréhension (les questionnaires) et en production (l’analyse de corpus) apportera une contribution intéressante sur la question des mécanismes impliqués dans ces deux aspects, indépendants selon certains chercheurs(Gibson & Schütze, 1999). Des facteurs tels que la proximité du prédicat (Gibson, Pearlmutter et al., 1996) ou le traitement anaphorique qui a lieu lors de l’attachement de la relative (Hemforth et al., 2000) expliqueraient que les stratégies d’attachement en compréhension ne pourraient pas être appliquées au niveau de la production (Desmet, Brysbaert et al., 2002 ; Gibson & Schütze, 1999).

Or, les Hypothèses 1 et 2 reposent justement sur la prise en compte d’informations discursives fournies par les anaphores, les relativiseurs et les antécédents. Si les mécanismes en production et en compréhension du langage sont indépendants, il se peut que les informations fournies par ces anaphores affectent différemment la compréhension et la production. Si on considère qu’au moins certains mécanismes cognitifs sont communs, on peut alors s’attendre à un effet de la forme du relativiseur qui soit comparable à ce qui a été mesuré en compréhension, dans les études de Questionnaires ().

L’étude de corpus analyse des textes écrits issus du journal « Le Monde ». Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit de textes écrits et préparés, ce qui ne donne qu’un aperçu de l’ensemble des productions langagières (Biber, 1986 ; Biber, Conrad, & Reppen, 1998), mais qui est cependant riche d’informations.

Afin de rester proche des structures étudiées dans les Questionnaires 1 à 4, des propositions relatives à attachement ambigu sont analysées : la fonction relativisée y est sujet (qui, lequel) ou OI (à qui, auquel) et la relative est non restrictive. Le site d’attachement appartient à un GN complexe de la forme « N1 de N2 » où de N2 est un génitif, le complément du nom, ce qui restreint l’analyse à des structures comparables à celles des Questionnaires.