5. 2. Apport pour les théories

On l’a vu plus haut, les résultats sur l’effet de l’adjectif infirment ce qui est prédit par le principe de modifiabilité de Thornton et al. (1999), issu des modèles basés sur les contraintes. Ce modèle prédit que si un antécédent est déjà modifié, soit par un adjectif pour N1 et N2, soit par « de N2 » pour N1 seulement, il n’est pas susceptible d’être à nouveau modifié par la relative. Or, les résultats de ce corpus et d’autres études (Colonna, 2001 ; Gilboy et al., 1995) infirment ces prédiction.

Les résultats de l’analyse de corpus, en particulier l’effet de la forme du relativiseur, sont intéressants dans l’évaluation de la tuning hypothesis (Mitchell et al., 1995). Selon cette théorie, les préférences d’attachement en compréhension sont guidées par la fréquence des structures et des attachements auxquels le parseur est confronté et qui peuvent être observés dans des corpus, en production. La tuning hypothesis avance l’hypothèse d’un grain d’analyse élevé : le parseur se base sur les fréquences pour ces structures en général, par exemple sur l’ensemble des relatives dont l’attachement est vers N1 ou N2 dans une structure « N1 de N2 ». La forme du relativiseur n’aurait alors aucun effet, ni aucun autre paramètre syntaxique (p. ex. la fonction de N1) ou sémantique (p. ex. l’animation).

L’observation d’une différence dans les préférences d’attachement en compréhension selon que les propositions relatives sont introduites par qui ou lequel et une fréquence d’attachement à N2 plus importante pour lequel infirme la prédiction d’un grain grossier de l’analyse : la forme du relativiseur a un effet sur l’attachement.

Qui plus est, en ce qui concerne la fréquence globale des attachements en production, on a mesuré une préférence plus marquée pour N2, alors que dans les études en compréhension, on observe une forte préférence pour N1, que ce soit dans l’étude de Questionnaires présentée plus haut ou dans la littérature sur la compréhension de telles ambiguïtés syntaxiques en français (Colonna, 2001 ; Frenck-Mestre & Pynte, 2000a ; Pynte & Colonna, 2000 ; Zagar et al., 1997). Ces résultats sont incompatibles avec les prédictions de la tuning hypothesis (grain d’analyse grossier), ce que les résultats d’études en néerlandais suggèrent aussi (Desmet, Brysbaert et al., 2002 ; Desmet et al., 2006).

Il est cependant possible de trouver une préférence similaire en production et en compréhension si on prend un degré d’analyse plus fin, qui tienne compte par exemple l’animation des antécédents. On a vu que le trait d’animation affecte de façon importante les attachements observés dans le corpus. Pour les données en néerlandais (Desmet, Brysbaert et al., 2002 ; Desmet et al., 2006) ou en français (ce corpus), quand on restreint l’observation aux cas où N1 et N2 sont animés, on trouve une préférence pour N1 (66 % dans ce corpus). Une préférence similaire est mesurée dans des tâches en compréhension. Ces résultats confortent l’hypothèse de l’utilisation d’un grain d’analyse mixte (Desmet et al., 2006), à la fois grossier, c’est-à-dire les structures syntaxiques considérées, et fin, avec les informations lexicales comme l’animation (voir p. ex. les modèles de Jurafsky, 1996 ; Tabor et al., 1997). Ce modèle paraît plus satisfaisant que l’approche à gros grain prônée par la tuning hypothesis.

Les résultats de ce corpus apportent des données intéressantes pour les théories de l’accessibilité (Ariel, 1990, 2001 ; Gundel et al., 1993) : la forme du relativiseur permet de signaler le degré d’accessibilité de l’antécédent. Un relativiseur situé plus bas sur la hiérarchie d’accessibilité (lequel, par comparaison avec qui) est attaché plus fréquemment à l’antécédent moins accessible dans une structure « N1 de N2 » que son pendant situé plus haut dans la hiérarchie (qui). Avec une structure « N1 de N2 », les attachements à N2 sont plus fréquents avec le relativiseur lequel qu’avec qui ; N2 est en effet moins accessible que N1 qui est la tête du GN. La comparaison entre les attachements avec à qui et auquel montre une différence significative, le relativiseur à qui signalerait un niveau d’accessibilité plus faible que le relativiseur auquel, puisqu’il y a plus d’attachements à N2 pour à qui. Mais cela n’est vrai que si l’animation de l’antécédent pour auquel n’est pas contrôlée et si le marquage de l’animation différencie les relativiseurs. Cependant, le modèle où l’animation du site d’attachement est contrôlé (à qui et auquel avec antécédent animé) ne révèle pas d’interaction significative avec d’autres facteurs : ces facteurs influencent de façon comparable les attachements pour ces deux formes de relativiseurs. L’ensemble de ces résultats, comme ceux de l’étude de corpus d’Ariel (1999), confirme que les relativiseurs, comme les autres types d’anaphores, fonctionnent comme des marqueurs d’accessibilité.

L’attachement et le niveau d’accessibilité signalés par les relativiseurs est sensible au niveau d’accessibilité relatif des antécédents disponibles, N1 et N2. La fonction syntaxique de N1 influence l’accessibilité de ce dernier : quand il remplit la fonction sujet, il est alors hautement accessible. C’est la raison pour laquelle l’emploi de qui est favorisé, car ce relativiseur signale un degré d’accessibilité plus important que lequel. Une entité animée est plus proéminente qu’une entité non-animée et par conséquent elle est plus accessible dans le discours, devenant le site d’attachement le plus fréquent. Cependant, pour les relatives avec lequel, signalant un antécédent moins accessible, l’attachement de ces relatives n’est pas sensible à l’animation de N1 qui reste malgré tout l’antécédent plus accessible. On observe toujours plus d’attachements à N2 avec lequel, indépendamment de l’animation de N1, confirmant que l’attachement de lequel est bien l’antécédent le moins accessible.

L’interaction significative, pour les relatives sujet, entre la forme du relativiseur et l’animation de N1 montre que pour les relatives avec lequel, le degré d’animation de N1 n’influence guère l’attachement, plus fréquent à N2, alors que pour les relatives avec qui, il y a un très fort taux d’attachement à N1 quand celui-ci est animé. Le relativiseur qui, qui signale un antécédent plus accessible, est d’autant plus souvent attaché à N1 que ce dernier est animé et donc très accessible.

On pourrait se demander pourquoi l’animation de N1 influence l’attachement avec qui et non avec lequel. Que pour les autres fonctions relativisées, auquel, duquel, etc. le relativiseur marque l’animation de l’antécédent peut favoriser un attachement comparable, à l’antécédent animé, pour qui. Des critères sémantiques peuvent aussi intervenir : une entité animée est le plus souvent agent (cf. expériences sur l’effet des informations sémantiques dans l’interprétation d’ambiguïtés, Clifton et al., 2003 ; Trueswell et al., 1994) et elle est par conséquent plus saillante, plus accessible. C’est pourquoi qui serait préféré. Néanmoins, la proportion d’occurrences où N1 est animé avec une relative introduite par qui est proche (22 %) de celle qui est introduite par une relative contenant lequel (28 %). Cette interprétation ne peut être retenue : que N1 soit animé ne permet pas de prédire l’emploi de qui au détriment de lequel, puisque ces relativiseurs sont utilisés dans des proportions similaires.

Il est intéressant de remarquer que, pour les relatives OI, on obtient un effet de la forme du relativiseur, mais que ce facteur n’interagit pas avec les autres facteurs. L’attachement des relatives est guidé par la forme du relativiseur. À qui est attaché plus fréquemment à N2 (cf. effet significatif dans le modèle des relatives OI), car la configuration où N1 est non-animé et N2 animé est plus fréquente avec ce relativiseur (67 % des occurrences avec à qui) qu’avec auquel (tout antécédent, 23 %). Par contre, si on contrôle l’animation de l’antécédent avec auquel, une proportion comparable de configurations N1 non-animé et N2 animé est observée (62 %). L’absence d’interaction suggère que l’attachement avec à qui et auquel ne diffère pas selon le niveau d’accessibilité signalé par la forme des antécédents. S’il y a davantage d’attachements à N2 avec à qui, le sens de l’effet des différents facteurs est identique pour à qui et auquel.

C’est pour la paire qui-lequel qu’on observe des interactions entre la forme des relativiseurs et les facteurs susceptibles d’agir sur le niveau d’accessibilité signalée des antécédents, suggérant des attachements différents quand les relativiseurs signalent eux aussi un niveau d’accessibilité plus ou moins important.

En ce qui concerne l’effet de la modification des antécédents sur l’attachement et leur niveau d’accessibilité, les résultats sont contraires à ce qu’on aurait attendu selon la hiérarchie d’accessibilité proposée par Ariel (1990, 2001) : un nom modifié signalerait un antécédent moins accessible. Or, pour N1 ou pour N2, qu’un antécédent soit modifié y entraîne plus d’attachements, même quand le relativiseur signale un antécédent moins accessible (lequel). La présence d’un modifieur n’est pas pertinente pour signaler un antécédent moins accessible.

Plus une proposition relative est longue, plus elle fournit d’informations nouvelles sur son antécédent. On s’attendait alors à ce qu’une proposition relative plus longue soit attachée plus fréquemment à un antécédent moins accessible, N2 dans « N1 de N2 », d’autant plus que le relativiseur signale un degré d’accessibilité moindre. Cette prédiction s’oppose à celle de Fodor (1998) selon laquelle une proposition relative est attachée à un constituant de taille comparable, N1 quand la proposition relative est longue. On observe dans le corpus un effet de la longueur de la relative pour les relatives OI qui contribuent ainsi à l’interaction avec la longueur de la relative révélée pour le modèle global.

Pour les relatives sujet, aucune des hypothèses n’est vérifiée puisqu’il n’y a pas d’effet significatif de la longueur de relative. Pour les relatives OI, il y a plus d’attachements à N1 quand la relative est longue et plus d’attachements à N2 quand la relative est courte, confirmant l’hypothèse de Fodor (1998).

En conclusion, les données de ce corpus confirment la première hypothèse : deux relativiseurs comme qui et lequel signalent un niveau d’accessibilité différent qui sert d’indice pour désigner le site d’attachement, lequel indiquant un antécédent moins accessible. Les attachements avec les relativiseurs à qui et auquel sont globalement comparables, pour peu qu’on contrôle l’animation de l’antécédent et par conséquent l’informativité de à qui et auquel. Dans ce cas, l’absence de différence d’attachement conforte l’idée selon laquelle ces deux relativiseurs signalent un degré d’accessibilité équivalent.

L’accessibilité relative de N1 et N2 peut être modifiée par leur animation, mais aussi par la fonction syntaxique de N1, et on constate qu’il y a plus d’attachements à l’antécédent moins accessible avec lequel qu’avec qui. Les autres facteurs étudiés ne semblent pas affecter le degré d’accessibilité signalé par les antécédents, ou tout du moins n’entraînent pas d’attachement différent selon le degré d’accessibilité signalé par les relativiseurs.