1. 2. La validation des hypothèses opérationnelles et de l’hypothèse théorique

Le point de départ pour l’élaboration de la problématique est la proposition de Hemforth et al. (2000) : la spécificité de l’ambiguïté d’attachement des relatives par rapport aux autres ambiguïtés syntaxiques (relatives réduites et attachement de groupes prépositionnels) réside dans le fait que le constituant dont l’attachement est ambigu, i. e. le relativiseur, fait l’objet non seulement d’un attachement syntaxique, mais aussi de l’élaboration d’un lien anaphorique avec son antécédent.

Un relativiseur est une expression anaphorique et les facteurs régissant le traitement des anaphores et de la cohérence doivent nécessairement s’y appliquer. La forme d’une expression référentielle signale le degré d’accessibilité dans le discours de l’entité à laquelle elle fait référence (Givón, 1990, 1992). Les expressions référentielles peuvent aussi être placées sur des hiérarchies d’accessibilité (Ariel, 1990, 2001 ; Gundel et al., 1993) : plus l’expression référentielle est courte et peu informative (p. ex. pronom), plus elle signale un référent accessible, alors qu’une expression référentielle longue (p. ex. GN avec modifieur) signale un référent peu accessible.

Dans une structure de la forme « N1 de N2 », N1 est considéré comme le référent le plus accessible, parce qu’il est la tête du GN et que N2 est le complément du nom. Un relativiseur, expression référentielle courte, fera ainsi préférentiellement référence à l’antécédent le plus accessible, N1. C’est pourquoi dans la littérature une préférence pour N1 est souvent observée, pour de nombreuses langues. Néanmoins, des expériences ont mis en évidence des variations translinguistiques (préférence d’attachement à N2) ou intra-linguistiques qui pourraient être expliquées par la notion d’accessibilité. Par exemple, la forme des antécédents affecte les préférences d’attachement (nom propre ou nom commun, Frenck-Mestre & Pynte, 2000b) ; un nom commun (généralement N1) est d’autant plus le site d’attachement choisi que N2 est un nom propre. La notion d’accessibilité apporte une explication intéressante : un nom propre signale un référent moins accessible qu’un nom commun. Comme le relativiseur est attaché préférentiellement à un antécédent accessible, il est attaché à N1 qui est un nom commun. La forme des antécédents signalerait ainsi l’accessibilité de leur référent, ce qui affecte les préférences d’attachement.

De même, la forme du relativiseur peut signaler l’accessibilité de l’entité référée et cela guide son attachement. Pour Ariel (1990, 2001), l’accessibilité varie selon l’atténuation, l’informativité et la rigidité. Le français dispose de deux systèmes de relativiseurs, les qui et les lequel, et je propose que, pour une même fonction syntaxique, l’emploi d’un relativiseur au détriment de l’autre peut signaler un niveau d’accessibilité différent, si leur forme les positionne à des rangs différents de la hiérarchie. Lequel étant moins atténué que qui, parce que plus long et plus informatif par son marquage en genre et nombre, il signale un antécédent moins accessible. L’ensemble des expérimentations valide cette hypothèse : il y a plus d’attachements à N2 avec lequel qu’avec qui. On observe une fréquence plus importante d’attachements à N2 dans les Questionnaires 1 et 4, mais aussi moins d’erreurs aux questions de compréhension sur des phrases avec lequel et dont l’attachement final est à N2 dans l’expérience d’auto-présentation segmentée. Les mesures des temps de lecture montrent l’absence de préférence d’interprétation avec qui, mais un attachement initial à N2 pour les relatives avec lequel, puisqu’une désambiguïsation vers N1 conduit à des TR plus longs qu’une désambiguïsation à N2. Dans l’ensemble, on peut considérer que la différence au niveau de la forme des relativiseurs qui et lequel sert à signaler pour le second un attachement à un antécédent moins accessible, N2.

La comparaison entre à qui et auquel (et à laquelle pour le Questionnaire 3) permet de contrôler le degré d’informativité avec le marquage de l’animation pour à qui, du genre et du nombre pour auquel, mais aussi le cas échéant le degré d’atténuation (seul à laquelle est plus long que à qui pour la fonction OI). Les résultats, tant pour les Questionnaires 2 et 3 que pour l’étude de corpus (relatives OI avec antécédent animé), ne révèlent pas de différence d’attachement pour à qui et auquel. Comme ils ont des degrés d’atténuation et d’informativité comparables, ils ont une position équivalente dans la hiérarchie d’accessibilité et signalent un attachement identique.

Les préférences d’attachement sont influencées par l’accessibilité signalée par la forme des antécédents. L’étude de corpus a mis en évidence que l’animation (animé, non-animé) et la modification (présence ou absence d’un modifieur) des antécédents d’une part, et la fonction syntaxique de N1 (sujet, objet direct et indirect, obliques et sans fonction) de l’autre, affectent l’accessibilité signalée de l’antécédent. De façon générale, s’il y a une ambiguïté d’attachement, une relative est d’autant plus souvent attachée à l’un des référents qu’il est plus accessible. Si l’antécédent est animé ou modifié, il est très saillant et constitue le site d’attachement préféré. Quand N1 est sujet, fonction syntaxique où l’entité est dans le focus principal (Givón, 1990), il y a plus d’attachements à cet antécédent qu’à N2. La présence d’interactions entre ces facteurs et la forme du relativiseur est remarquable. D’abord, il n’y a pas d’interaction entre la forme du relativiseur et ces facteurs pour les relatives OI (à qui, auquel), suggérant que l’attachement est affecté de façon comparable pour les relatives avec à qui et auquel. Les interactions au niveau des relatives sujet, entre la forme du relativiseur (qui, lequel), l’animation et la fonction syntaxique de N1 sont intéressantes, puisqu’elles révèlent un effet différent de l’animation et de la fonction syntaxique selon le relativiseur. Une relative avec qui est sensible à la haute accessibilité de N1, quand il est sujet de la principale ou qu’il est animé. L’attachement à N1 est alors très fréquent. Quand N1 est moins accessible, non-animé ou qu’il remplit une autre fonction, la préférence pour attacher la relative à cet antécédent est moindre. Le relativiseur lequel semble moins sensible à la très haute accessibilité de N1. Même quand ce dernier est sujet ou animé, il y a plus d’attachements à N2 avec lequel, qui est attaché majoritairement à l’antécédent peu accessible.

Certaines de mes hypothèses sur l’attachement préférentiel à l’antécédent le plus accessible ne sont pas validées. D’après les études sur la cohérence et le caractère given-new, je m’attendais à ce qu’une relative longue, qui fournit plus d’informations, soit attachée de façon préférentielle à l’antécédent le moins accessible, N2, car il est relativement nouveau dans le discours : de nouvelles informations, fournies par la relative, sont plus susceptibles de le concerner. Les résultats montrent que plus la relative est longue, plus elle est attachée à N1. La modification des antécédents signalent selon les théories de l’accessibilité (cf. Ariel, 1990, 2001) un référent moins accessible et les relatives dans l’ensemble y sont d’autant plus attachés. Si ce résultat ne valide pas l’hypothèse de la modification, il indique que celle-ci augmente le degré de saillance de l’antécédent.

Enfin, les hypothèses sur l’animation des antécédents et la fonction syntaxique de N1 sont validées. Un antécédent animé est proéminent dans le discours et constitue le site d’attachement préféré d’une relative par rapport à un antécédent non-animé. Quand N1 est sujet de la principale, il est dans le focus principal et donc très proéminent. C’est pourquoi il est le plus souvent l’antécédent.

Dans l’ensemble, ce travail montre que la forme des relativiseurs, ainsi que celle des antécédents permettent de signaler le niveau d’accessibilité des entités du discours auxquelles ils font référence. Cela exerce une influence sur les préférences d’attachement, un relativiseur situé plus bas dans la hiérarchie d’accessibilité signale un attachement à un antécédent moins accessible. Un relativiseur plus réduit signale un antécédent hautement accessible, ce qui confirme ce que la centering theory (Brennan et al., 1987; Gordon et al., 1993 ; Grosz et al., 1995 ) a montré de façon extensive : une anaphore pronominale, dont la forme est réduite, est préférée à une anaphore moins réduite quand l’entité du discours est très accessible.