1. 3. Apports pour les théories

1. 3. 1. L’importance de la notion d’accessibilité dans le traitement des ambiguïtés d’attachement

La différence de traitement entre les relativiseurs qui et lequel, mesurée dans les trois études menées ici, montre que la présence d’un relativiseur comme lequel entraîne plus d’attachements à l’antécédent le moins accessible qu’un relativiseur comme qui. L’étude de corpus montre une fréquence plus importante des attachements à N2 avec lequel qu’avec qui. Les Questionnaires 1 et 4 mettent en évidence un résultat comparable, avec des procédures interindividuelle et intra-individuelle. L’expérience avec le paradigme d’auto-présentation montre, pour les relatives avec lequel, des temps de lecture plus importants après la levée de l’ambiguïté à N1, traduisant que les participants ont au préalable interprété lequel comme signalant un attachement à N2. Pour les relatives avec qui, les questionnaires montrent une préférence pour N1 (l’attachement reste ambigu) et l’expérience en auto-présentation ne montre aucun effet de l’attachement ; il n’y a pas de préférence d’attachement ni de difficulté à traiter l’un ou l’autre des attachements signalés. Ce résultat est confirmé par l’absence de différence au niveau des questions de compréhension, pour les relatives avec qui. Ces résultats, dans leur ensemble, suggèrent que lequel est situé plus bas que qui dans la hiérarchie d’accessibilité (Ariel, 1990, 2001) et qu’il signale un niveau d’accessibilité et un attachement à l’antécédent le moins accessible. Comme lequel est à la fois moins atténué et plus informatif que qui, ces deux facteurs, atténuation et informativité, pourraient contribuer à la différence d’accessibilité signalée.

La comparaison entre à qui et auquel/à laquelle permet d’évaluer l’effet de ces facteurs en contrôlant leur niveau d’informativité. À qui est plus informatif que auquel parce qu’il marque le caractère animé de son antécédent. Ce dernier, par contre, est plus informatif car il renseigne le genre et le nombre de son antécédent. Comme l’animation et le marquage en genre et en nombre sont des caractéristiques importantes pour le traitement de matériel linguistique (J. E. Arnold, Eisenband et al., 2000 ; Bock & Levelt, 1994 ; Branigan et al., 2008 ; G. R. Kuperberg et al., 2006 ; Van Berkum et al., 1999b), on a considéré que le niveau d’informativité de ces deux relativiseurs est contrôlé. L’atténuation, en revanche, peut être contrôlée entre à qui et auquel (deux syllabes) ou varier entre à qui et à laquelle. Le Questionnaire 3 (à qui, auquel et à laquelle) montre que la différence d’atténuation n’entraîne pas d’attachement différent. Ainsi la différence d’informativité entre qui et lequel expliquerait les résultats alors obtenus. Les relativiseurs fonctionnent bien comme des marqueurs d’accessibilité et signalent l’attachement à réaliser.

La plupart des théories sur l’accessibilité (accessibility theory et givenness hierarchy) et sur le traitement anaphorique en général (centering theory et ses développements ultérieurs et l’informational load hypothesis) considèrent les expressions référentielles d’un énoncé à l’autre. Les résultats de ces études montrent que le traitement anaphorique dans un même énoncé (propositions principale et relative) est lui aussi guidé par la forme des expressions anaphoriques, augmentant le champ d’application de ces théories.

L’étude de questionnaires et celle avec le paradigme d’auto-présentation contribuent aussi à une première évaluation de la validité en compréhension des théories de l’accessibilité. Ces dernières expliquent la forme des expressions référentielles dans les productions langagières, contribuant à la cohérence. En accord avec le principe général de la tuning hypothesis, selon quoi les préférences en compréhension sont guidées par l’exposition du parseur, en production, à certaines structures et certaines interprétations, les résultats obtenus ici montrent que l’accessibilité signalée par les expressions référentielles, relativiseurs et antécédents, contraint l’interprétation en compréhension et qu’elle signale l’attachement tel que l’envisage le locuteur. D’un point de vue de la pertinence et des principes de Grice (voir Sperber & Wilson, 1989), cela confirme que le locuteur utilise ce qui est à sa disposition, les deux systèmes de relativiseurs, pour indiquer à son allocutaire l’attachement à réaliser. On a vu ici que la forme du relativiseur sert à guider l’attachement dans le cas de structures ambiguës, mais comme l’attachement dépend de l’accessibilité des entités du discours, rien n’exclut que la forme du relativiseur soit aussi contrainte par l’accessibilité de l’antécédent quand l’attachement est non ambigu. Ainsi, qui est le relativiseur privilégié pour faire référence à un antécédent très accessible, sujet de la principale ou entité animée, tandis que lequel est utilisé pour un antécédent moins accessible.

L’étude de corpus a permis de tester quelques aspects utilisés dans l’élaboration des hiérarchies d’accessibilité, comme la présence d’un adjectif et par conséquent la longueur de l’expression référentielle (cf. Ariel, 1990). D’autres aspects susceptibles d’influencer l’accessibilité des antécédents sont étudiés : l’animation et la fonction syntaxique de N1. La longueur de la proposition relative peut aussi contribuer à signaler le niveau d’accessibilité de l’antécédent. Les résultats montrent que l’animation et la fonction syntaxique contribuent à signaler le degré d’accessibilité des antécédents, guidant l’attachement de la proposition relative, et qu’en plus ces facteurs interagissent avec la forme des relativiseurs, pour les relatives sujet. Lorsque le niveau d’accessibilité est bas (antécédent non animé, fonction syntaxique basse), il est le site d’attachement préféré pour un relativiseur signalant un faible niveau d’accessibilité, lequel par comparaison avec qui. Même quand l’accessibilité signalée par N1 est importante (animé, sujet de la principale), lequel reste attaché plus souvent à l’antécédent moins accessible, alors que qui est dans ce cas attaché de façon très importante à N1.

La longueur de la relative n’a d’effet que pour les relatives OI, et sa direction est opposée à ce qui était prédit selon l’accessibilité : plus la relative est longue, plus elle est attachée à l’antécédent plus accessible.

La modification des antécédents, par exemple avec un adjectif, conduit à des résultats opposés à ceux qu’on attendrait selon les théories de l’accessibilité. Ajouter de l’information à un antécédent en fait le site d’attachement préféré et il n’y a pas de différence entre les relatives avec qui et lequel, alors que selon les hiérarchies d’accessibilité on se serait attendu à moins d’attachements à un antécédent modifié pour qui. La modification n’est pas un facteur pertinent pour le degré d’accessibilité signalé des antécédents et sert à signaler la spécificité de l’expression référentielle. Par contre, la modification augmente le niveau de saillance de cette référence par rapport à un GN sans modifieur, à cause de la taille phonologique plus importante. Peut-être faut-il distinguer saillance et accessibilité ? La saillance semble liée à la prosodie ou tout du moins à la longueur des constituants, la taille du GN, avec ou sans modifieur, ou celle de la relative. Quand le GN ou la relative sont longs, ces expressions ont une saillance plus importante qu’un GN non modifié ou une relative courte. Ce degré de saillance plus élevé attire l’attachement. Notons que ces deux facteurs, la modification et la longueur de la relative, n’interagissent pas avec la forme des relativiseurs pour la fonction sujet, alors que l’effet de l’animation et celui de la fonction syntaxique de N1 sont modulés selon la forme du relativiseur, qui ou lequel. On pourrait envisager que la longueur de la relative et la modification des antécédents sont des facteurs signalant la saillance et que l’animation et la fonction syntaxique sont des facteurs signalant l’accessibilité.

Ainsi, l’accessibilité signalée des antécédents et des relativiseurs guide l’attachement de propositions relatives lorsqu’il est ambigu. Si un relativiseur signale un antécédent peu accessible et que l’antécédent est lui aussi peu accessible, alors ce dernier est le site d’attachement préféré. En revanche, si le relativiseur signale un antécédent hautement accessible et que la forme de l’antécédent signale un niveau d’accessibilité élevé, qu’il soit animé ou que la fonction syntaxique soit élevée, ce dernier est le site d’attachement préféré.