1. 3. 5. L’intégration des informations syntaxiques, sémantiques ou discursives

La théorie du garden path postule l’existence de deux stratégies d’interprétation. La première est purement syntaxique et la seconde, qui intègre des informations sémantiques ou autres, n’intervient que dans un second temps, en cas d’échec de la première stratégie, dans un processus de ré-analyse (Clifton, 1993 ; F. Ferreira & Clifton, 1986 ; F. Ferreira & Henderson, 1990 ; Frazier & Rayner, 1982, 1987 ; Rayner et al., 1983). L’expérience avec le paradigme d’auto-présentation est la plus appropriée pour évaluer les prédictions de cette théorie puisque la mesure des temps de lecture mot à mot permet d’estimer une éventuelle ré-analyse si l’interprétation initiale est différente de celle signalée à partir de la levée de l’ambiguïté. Des temps de lecture plus importants sont attendus.

Dans le cas des structures étudiées ici, l’analyse initiale est réalisée selon le principe de late closure et conduit à un attachement à N2 dès l’apparition du relativiseur. Par ailleurs, la forme du relativiseur n’affecte pas cette interprétation initiale. Quand l’ambiguïté d’attachement est levée, à partir de l’objet de la proposition relative et des régions spillover, et que N2 est le site d’attachement, ceci est congruent avec l’analyse initiale selon le late closure et le participant peut continuer à traiter la phrase sans en changer l’interprétation. Par contre, si l’analyse initiale est un attachement à N2 et que l’attachement signalé est à N1, il est nécessaire de ré-analyser la structure choisie initialement. Cela entraîne des temps de traitement plus importants à partir du moment où l’ambiguïté est levée.

Qu’on ait obtenu un effet immédiat de la forme du relativiseur invalide les prédictions de la théorie du garden path, d’autant plus que le relativiseur a un effet précoce sur l’interprétation de la phrase : une phrase contenant qui est traitée plus rapidement quand l’attachement est à N1 et l’inverse est mesuré pour les phrases contenant lequel. La forme du relativiseur est un indice de l’attachement à réaliser.

Des théories sur le traitement syntaxique qui ont été présentées dans l’introduction, seule la construal hypothesis mentionne l’effet éventuel de la forme du relativiseur sur l’interprétation de ces structures syntaxiquement ambiguës (Frazier & Clifton, 1997). Pour les langues possédant un vrai pronom relatif, la saillance des antécédents peut guider l’interprétation, comme c’est le cas pour l’interprétation des pronoms (cf. Hemforth et al., 2000). En français, les relativiseurs qui et lequel sont considérés comme des pronoms relatifs (Jones, 1996 ; Riegel et al., 2004) et c’est pourquoi on obtient une préférence d’attachement de la relative à l’antécédent le plus proéminent, N1 dans les études de compréhension (Colonna, 2001 ; Colonna & Pynte, 2002 ; Zagar et al., 1997). Ici, notons que les résultats de l’étude de corpus montrent une préférence générale pour N2 et que l’expérience d’auto-présentation confirme cette préférence.

De plus, l’effet de la forme du relativiseur n’est pas prévu ni expliqué par la construal hypothesis. Cette théorie n’est qu’en partie vérifiée : elle prévoit une préférence pour N1, ce qu’on obtient dans les Questionnaires, mais pas une différence entre qui et lequel.

Les modèles interactifs, c’est-à-dire les modèles de satisfaction de contraintes et de compétition et d’intégration, le modèle unrestricted race et la recency theory ne formulent pas d’hypothèse spécifique à propos de l’effet de la forme du relativiseur sur les préférences d’attachement, mais ils n’excluent pas non plus que les informations, notamment d’accessibilité, procurées par les relativiseurs interviennent dans le traitement de ces ambiguïtés d’attachement. Les travaux menés ici montrent que des informations de niveau discursif, le niveau d’accessibilité, sont prises en compte dans l’interprétation de ces phrases dès le niveau du relativiseur. Ces modèles pourraient ainsi intégrer cet aspect.