1. 4. La méthodologie expérimentale

Dans cette recherche, plusieurs techniques ont été utilisées : des tâches en compréhension, avec les questionnaires et le paradigme d’auto-présentation segmentée et une étude en production avec le corpus. Ces techniques présentent des avantages et des inconvénients.

J’ai voulu évaluer mes hypothèses quant à l’effet de l’accessibilité des expressions référentielles sur le traitement des ambiguïtés syntaxiques en production, avec une étude de corpus, afin de tester si les contraintes valables en compréhension s’appliquent aussi à la production. Cette étude de corpus présente l’intérêt premier de procurer une vision sur la production de phrases contenant une ambiguïté d’attachement, mais aussi sur la forme du relativiseur utilisé. À cette étude de corpus sont ajoutées des études en compréhension, avec des questionnaires et une tâche avec le paradigme d’auto-présentation segmentée. D’aucuns considèrent qu’études de corpus et expérimentales se complètent mutuellement, mais qu’elles ont des avantages et des inconvénients propres.

Si on veut réaliser une étude en production qui soit écologique, il serait intéressant de s’inspirer de la méthodologie utilisée par Brennan (1995), où des productions orales spontanées sont élicitées. Cependant, la comparaison entre qui et lequel pourrait être difficile, puisque lequel est d’un registre plus formel, moins susceptible d’être produit à l’oral qu’à l’écrit. Une tâche de production orale permettrait d’aborder la question de la prosodie (cf. Schafer et al., 1996) et d’estimer si les contours prosodiques sont différents selon la forme du relativiseur et l’attachement, à N1 ou à N2.

Les résultats obtenus dans la comparaison entre qui et lequel (corpus) sont globalement conformes à ceux d’Ariel (1999) qui compare les pronoms résomptifs et les anaphores zéros. Il serait intéressant de réaliser des études translinguistiques sur d’autres langues qui disposent de plusieurs formes de relativiseurs, ce qui permettrait d’évaluer plus avant les hypothèses sur l’effet de la forme du relativiseur.

Parmi les formes de relativiseurs, ce sont deux types de pronoms relatifs qui ont été étudiés ici : qui et à qui d’un côté, lequel et auquel de l’autre. En anglais par exemple, on peut utiliser un pronom relatif, ce qui est le cas dans la majorité des expériences sur les ambiguïtés d’attachement qui utilisent who (Carreiras & Clifton, 1993, 1999 ; Cuetos & Mitchell, 1988 ; Mitchell et al., 1990), mais il est aussi possible d’utiliser un complémenteur (that, cf. Traxler et al., 1998) ou bien d’omettre ce complémenteur. L’emploi du complémenteur, et le cas échéant de l’auxiliaire, est parfois optionnel (Temperley, 2003) : il pourrait dans ce cas lever l’ambiguïté d’interprétation, comme dans des phrases de type garden path (72 ).

(72)a. The horse raced past the barn fell. (Le cheval qui a été conduit devant la grange est tombé, tiré de Frazier, 1985)

b. The horse that was raced past the barn fell. (traduction identique)

Cependant, des études en production montrent que le complémenteur n’est pas utilisé plus fréquemment quand il permet d’éviter des cas d’ambiguïtés (V. S. Ferreira & Dell, 2000), mais plutôt quand le contenu ultérieur de la phrase est complexe à produire ou moins accessible (V. S. Ferreira, 2003, à paraître ; V. S. Ferreira & Dell, 2000).

On pourrait proposer que la forme de l’expression référentielle en anglais sert à signaler le degré d’accessibilité et à guider l’attachement des propositions relatives : l’omission du relativiseur s’apparente à une anaphore zéro, signalant un niveau d’accessibilité très élevé (Ariel, 2001). L’utilisation de that au lieu de son omission sert à signaler un antécédent moins accessible, mais plus accessible cependant que who, qui serait situé au plus bas dans la hiérarchie, car il est plus informatif (il marque l’animation de l’antécédent et la fonction relativisée). Des données de corpus semblent conforter l’hypothèse d’un effet de l’accessibilité de l’antécédent, pour des propositions relatives non ambiguës. Ainsi, Jaeger et Wasow (à paraître) relèvent dans une étude de corpus sur les propositions relatives autres que sujet, où le relativiseur peut être omis, que le complémenteur that est utilisé plus fréquemment quand l’antécédent est nouveau dans le discours, mais aussi lorsque cet antécédent a un degré de définitude plus faible, p. ex. un GN avec un article indéfini. Certains suggèrent que la production de that au lieu de son omission permet au locuteur de gagner du temps et de préparer la suite de la proposition relative (Race & MacDonald, 2003). La comparaison de la distribution en anglais des pronoms relatifs (mots wh-) et du complémenteur that, mais aussi l’observation des effets de la suppression dans cette étude (Jaeger & Wasow, à paraître) montrent pour des propositions relatives restrictives un biais de l’animation. En effet, l’antécédent est plus souvent non-animé qu’animé avec that. L’effet de la fonction syntaxique relativisée est plus difficile à interpréter : il est tout d’abord exceptionnel d’omettre le relativiseur quand la fonction sujet est relativisée et s’il s’agit de la fonction génitif, c’est un pronom relatif qui est alors obligatoire. Les résultats montrent que le complémenteur that est employé plus fréquemment qu’un pronom relatif pour des relatives sujet ou objet.

Il serait intéressant de réaliser une étude en compréhension qui étudie l’effet de la suppression du relativiseur sur les préférences d’attachement. Afin d’éviter le biais d’animation qui est parfois avancé (Bayley, 1999 ; Cuetos & Mitchell, 1988 ; Guy & Bayley, 1995), les antécédents N1 et N2 doivent être non-animés, comme dans (73a-d). Les phrases sont désambiguïsées vers N1, (73a) et (73c), ou vers N2, (73b) et (73d), le relativiseur étant soit présent, (73a-b), soit omis, (73c-d).

(73)a. Peter is watching the film of the ceremony that I made yesterday. (Peter regarde le film de la cérémonie que j’ai fait hier)

b. Peter is watching the film of the ceremony that I organised yesterday. (Peter regarde le film de la cérémonie que j’ai organisée hier)

c. Peter is watching the film of the ceremony I made yesterday. (Peter regarde le film de la cérémonie que j’ai fait hier)

d. Peter is watching the film of the ceremony I organised yesterday. (Peter regarde le film de la cérémonie que j’ai organisée hier)

Si la présence du complémenteur that sert à signaler un antécédent moins accessible que son absence, on devrait alors observer une préférence pour N2 dans le premier cas et pour N1 dans le second. Ainsi, la comparaison des temps de lecture entre les phrases (73a) et (73b) devraient montrer des temps de traitement plus importants quand l’attachement est désambiguïsé vers N1, alors que le contraire serait attendu entre (73c) et (73d).