1.4.1. « Objet textuel », « discours », « texte », –quelle terminologie ?

La notion de texte est largement utilisée dans le domaine des études littéraires, mais elle fait rarement l’unanimité. Ainsi, le Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage la définit-il comme « une chaîne linguistique parlée ou écrite formant une unité communicationnelle »21.

Or, selon Geninasca, « l’«écrit » – ou le « dit » – n’est pas le texte. Préalablement à sa prise en charge par le sujet, à la saisie/construction que doit encore effectuer une instance énonciative, il n’est pour le lecteur, pour l’auditeur, que la promesse ou la virtualité d’un texte : un objet textuel, ce sur quoi – à partir de quoi – il convient d’instaurer un (ou plusieurs) texte(s). Chaque usage, chaque « pratique discursive » a pour effet d’actualiser certaines des virtualités de cet objet textuel, par et à travers l’actualisation simultanée d’un sujet (une instance énonciative) et d’un objet (le texte proprement dit) » (1997 : 86).

Autrement dit, l’« objet textuel » est constitué de l’énoncé verbal qui relève du domaine de la linguistique, tandis que le « texte » est cet énoncé même, informé d’une organisation discursive destinée à assurer l’émergence d’un ensemble signifiant ou discours. Ce dernier relève du domaine de la sémiotique.

Cette distinction entre deux statuts différents et le passage de l’objet textuel au texte lui-même ne sont pas sans conséquence. Ils postulent d’emblée l’acte de lecture qui permet de transformer le texte en discours grâce à son actualisation. En effet, selon Geninasca, « lire, interpréter un énoncé, en constituer la cohérence, cela revient à actualiser le texte – dont l’objet textuel n’est encore que la promesse – en vue de le saisir comme un tout de signification, comme un ensemble organisé de relations, autrement dit, comme un discours » (Ibid.).

Cette conception du discours propre à cet auteur, présuppose, tout d’abord, que l’opposition entre les plans de l’expression et du contenu est « dépassée ». Par conséquent, le texte ne doit plus être considéré comme signifiant d’un contenu signifié. De fait, selon Geninasca, « l’énoncé discursif n’est pas le résultat d’une « sémiosis » entendue comme mise en relation de présupposition réciproque d’une forme du contenu et d’une forme de l’expression. Le discours n’a d’existence et de réalité que pour une instance énonciative, par la vertu d’une (ou de plusieurs) stratégie(s) énonciative(s) qui, s’appliquant à un objet textuel, le transmue(nt) en objet sémiotique »22 (1997 : 8).

En même temps, cela oblige à reformuler la notion de « communication littéraire»23 : cette dernière n’est plus le transfert d’un message – en l’occurrence le texte littéraire – entre un auteur et ses lecteurs : c’est « le lecteur qui, prenant en charge un objet verbal, se doit de l’instaurer comme un ensemble signifiant » (2004). Autrement dit, selon J. Geninasca, « la communication littéraire n’a rien à voir avec la transmission de messages, elle présuppose, en revanche, de la part de l’auteur-lecteur et du lecteur-auteur, l’exercice d’une stratégie de cohérence en même temps que l’expérience d’une cohésion perceptive, ou comme on dit aujourd’hui, sensible » (Ibid.). 

La conception du discours comme un « tout de signification » qui a besoin d’une instance d’énonciation pour être actualisé, engage une théorie capable de spécifier la structure des rôles subsumés par elle. Nous observerons ici, de façon plus détaillée, deux axes qui sont privilégiés à différents moments de la pratique discursive. Il s’agit notamment de s’arrêter sur le discours et ses stratégies de cohérence et sur le lien entre cohérence et énonciation.

Notes
21.

Entrée « texte », (1972 : 594).

22.

Sur ce point, nous pouvons noter l’évolution de la théorie de Geninasca. Dans son article Pour une sémiotique littéraire (1987), l’auteur adoptait une autre position à ce propos : il s’agissait de définir la procédure d’analyse en tenant compte « du type de corrélation […] installé, au moment de la sémiosis, entre la forme du contenu et de celle de l’expression » (p.8). Pour lui, la mise en place d’une procédure d’analyse engageait bien l’opération de sémiosis, qui consistait à construire, à partir de la manifestation, une forme de l’expression, et à postuler une forme du contenu, conjointe à celle-ci, au moment de l’acte d’énonciation.

23.

En dehors de sa fonction esthétique, le fait littéraire a été longtemps conçu comme un fait communicationnel. En 1936 déjà, un des représentants du Cercle linguistique de Prague, J. Mukarovski, définissait les œuvres d’art en tant que signes autonomes. Les œuvres d’art « à sujet » comme la littérature, la peinture, la sculpture « ont encore une seconde fonction sémiologique, qui est communicative », (1972 : 218).