2.2.3. Disposition intratextuelle et principes d’organisation

Examinons à présent le fragment dans la structure d’ensemble dont il fait partie et interrogeons-nous sur les fonctions qu’il occupe. Bien sûr, comme le souligne I. Lotman dans sa Structure du texte artistique, « un texte ne présente pas une simple succession de signes dans l’intervalle de deux limites externes. Une organisation interne est propre au texte, qui le transforme, au niveau syntagmatique, en un tout structurel » (1973 : 93). Selon Lotman, « […] le premier pas vers la création d’un texte est la création d’un système. Là où les éléments ne sont pas réciproquement organisés et où l’apparition d’une chose quelconque est également probable, c’est-à-dire là où il n’y a pas de structure, mais où au lieu de celle-ci on est en présence d’une masse entropique amorphe, l’information est impossible » (1973 : 408). D’où la nécessité de l’examen du texte artistique comme un tout structurel.

Toujours selon cet auteur, le texte artistique se construit sur la base de deux types de rapports : la co-opposition d’éléments équivalents répétitifs et la co-opposition d’éléments voisins (non équivalents). Toute la diversité des constructions du texte peut être ramenée à ces deux points de départ :

Le premier principe correspond « au passage h1-h’2. Tous les éléments du texte deviennent équivalents. C’est le principe de répétition, de rythme. Il nivelle ce qui dans la langue naturelle n’est pas nivelé. »

Le second principe correspond « au passage h2-h’2. Il s’agit du principe de la métaphore. Il combine ce qui dans la langue naturelle ne peut être combiné » (1973 : 129).

Dans notre corpus, le fonctionnement de la fragmentation se fait selon ces deux principes énoncés par I. Lotman. Nous pouvons en effet distinguer deux cas de figure : la fragmentation par accumulation (cf. Chronique de la ville de pierre, Le Général de l’armée morte) et la fragmentation par superposition (cf. Le Monstre, Les tambours de la pluie). Mais ces deux principes peuvent être présents en même temps dans une seule œuvre. C’est d’ailleurs le cas pour presque tous nos romans. Si dans Chronique de la ville de pierre c’est le premier principe qui est le plus visible par l’accumulation des points de vue à laquelle il procède, le principe de la métaphore n’est cependant pas absent. Une mise en relation métaphorique qui crée un déplacement de sens est présente de façon subtile entre le regard enfantin du narrateur et celui des adultes (cf. infra). Mais le second principe est surtout observable dans Le Monstre, où l’on assiste à un feuilletage de sens. Nous verrons cela de façon plus détaillée dans notre étude du corpus. Disons pour le moment que dans nos romans, nous pouvons souvent observer des projections de l’axe paradigmatique sur l’axe syntagmatique. L’organisation figurative et narrative invite le lecteur à prendre en compte ces deux axes à la fois.

La combinaison des éléments est donc une opération de construction de tout texte. En effet, une corrélation, une liaison organique existe entre les parties d’un texte qui assument différentes fonctions. Comme dans une phrase, où chacun des mots prend sa valeur en fonction des rapports d’oppositions et de corrélation qui le situent vis-à-vis des autres mots, de même, chaque partie du texte reçoit toutes ses qualités dans la confrontation et l’opposition avec les autres parties et avec le texte dans sa totalité. D’où la naissance de la signification qui apparaît à l’intersection de chacune d’elles. Les liaisons syntagmatiques et paradigmatiques sont réalisées dans le texte artistique dans l’unité et le passage des unes aux autres.