Ismaïl Kadaré37

Que c’est la littérature qui m’a conduit vers la liberté, et non pas l’inverse, voilà qui n’a jamais fait le moindre doute à mes yeux. J’ai connu la littérature avant, bien avant de connaître la liberté.
Ismail Kadaré

« Ismaïl Kadaré, qui est considéré comme le plus grand écrivain de l’Albanie, est né en 1936 à Gjirokastër. Il suivit des études universitaires à la faculté des lettres de Tirana et obtint une bourse pour étudier la littérature à Moscou d’où il dut revenir précipitamment en 1960, à la veille de la rupture de l’Albanie avec l’Union soviétique.

Très jeune, il commença à publier des poèmes. Dans le recueil Mon Siècle (1961), on trouve un mélange de vers à la gloire du Parti communiste et de poésies d’inspiration patriotique. Mais Kadaré se tourna rapidement vers la prose sans toutefois abandonner complètement la poésie et publia en 1964 son premier roman Le Général de l'armée morte. Le récit raconte le périple d’un général italien venu chercher les corps des soldats italiens tombés en Albanie pendant la Seconde Guerre mondiale. Les épisodes se déroulent comme une intrigue policière, dans le climat mystérieux d’un pays stalinien aux frontières fermées. Le Parti communiste est absent du roman. Publié en France en 1970, le livre connut un succès immédiat parce qu’il ouvrait de manière talentueuse une lucarne sur les mystères d’une Albanie encore inconnue. Pendant la révolution culturelle albanaise (1966-1969), Kadaré écrivit des romans qui ne suivaient pas le droit-fil du réalisme socialiste. Chronique de la ville de pierre (1970) retrace la vie quotidienne d’un enfant dans les années 1940, dans l’atmosphère étrange de la ville de Gjirokastër (ville natale de l’écrivain) qui voit passer les armées italiennes, les troupes grecques et les partisans albanais. Kadaré y critique la politique albanaise de manière très subtile, à travers des analogies et des allégories. La société urbaine avec ses secrets et ses vices y est dépeinte à travers une multitude de personnages. Kadaré a subi la censure, en particulier pour son œuvre majeure Le Grand Hiver (1973), qui est centrée sur la rupture entre l’URSS et l’Albanie. Le Parti reprocha à l’écrivain son rejet des normes littéraires en vigueur, et, pour subsister, Kadaré dut en venir à un compromis avec le régime et chanter les louanges d’Enver Hoxha, une des figures principales du roman. Le Concert (1988), pendant du Grand Hiver, décrit la situation politique albanaise pendant l’alliance avec la Chine. Son roman Le Palais des rêves (1980) évoque un descendant de la dynastie Koprulu, famille albanaise qui fournit de grands vizirs au pouvoir ottoman. Ce personnage, présenté comme un employé de la ténébreuse administration des rêves, victime de la jalousie du sultan, sert de couverture à la critique de la redoutable police secrète albanaise, la Sigurimi. Le livre fut critiqué par la Ligue des écrivains et artistes […].

Dans ses livres, Ismaïl Kadaré prend comme toile de fond l’Albanie à différentes époques de son histoire : la période d’occupation ottomane (XVème-XXème), les années 1930, postérieures à l’indépendance (1912), les phases de Révolution, d’alliances et de ruptures sous le gouvernement communiste. Mais le lecteur ne doit pas chercher dans son œuvre le strict reflet de la réalité historique. L’histoire n’est qu’un appui pour l’imagination fertile de l’écrivain qui la manie à sa façon. Ce qui captive le public étranger qui voit une Albanie fascinante par son exotisme au sein de l’Europe. L’autre spécificité littéraire de Kadaré est le double langage. D’un côté, il semble appuyer le régime, mais, de l’autre, il le mine. Il parvient à cela grâce à des techniques novatrices, dont le grotesque est la plus caractéristique. Alors que, sous la dictature stalinienne, Kadaré a été considéré officiellement en Albanie comme un représentant du réalisme socialiste, il a en réalité contribué à l’ensevelir et à faire pénétrer la littérature albanaise au sein de la littérature mondiale. »

Notes
37.

Cet article d’O.Daniel dans l’Encyclopaedia Universalis et consacré à I. Kadaré nous servira d’introduction afin d’avoir un aperçu de l’œuvre sur laquelle nous nous pencherons dans la deuxième partie de notre travail, et bien sûr, de l’auteur qui est à son origine.