1.3.2. Une sémiotique officielle : mise en discours stéréotypée

En termes de mise en discours, la thématisation et la figurativisation des structures discursives doit s’accompagner dans la sémiotique du réalisme socialiste par la mise en place de systèmes de valeurs stéréotypées, établies par l’axiologie. Les valeurs morales, logiques et esthétiques doivent être « normalisées » et apparaître comme des formes figées, en correspondant à une sémiotique officielle où l’investissement thématique du figuratif est au service de l’idéologie. En conséquence, le rapport entre le figuratif, le thématique et l’idéologique est prédéterminé d’avance. Des codes de systèmes de valeurs et de structures narratives existent (cf. choix de thèmes appropriés, distribution de rôles bien agencée, schéma conflictuel classique, etc.) ; ils doivent être repris, sans être transformés.

Cette prévisibilité attendue des formes d’organisation discursive qui en découle suggère des places prédéterminées aussi bien pour l’énonciateur que pour l’énonciataire : à la compétence discursive restreinte du premier correspond un horizon d’attente qui l’est tout autant. En effet, le faire réceptif de l’instance de l’énonciataire est également « orienté » et modélisé vers une réception-type, capable de recevoir et de juger les œuvres en fonction du seul critère de leur conformité avec les injonctions esthétiques et idéologiques du réalisme socialiste. Par conséquent, toutes les œuvres littéraires sont censées être lues selon la seule grille réaliste socialiste50 : partant de là, elles sont jugées recevables car « conformes », ou à rejeter car « non-conformes » à ces règles. En cas de non-conformité, un deuxième critère permet de classer séparément les œuvres non-conformes esthétiquement des œuvres non-conformes idéologiquement. Mais souvent, un recouvrement partiel ou total entre les deux autorise et légitime la mise dans la même catégorie les œuvres faisant usage de ces deux « déviations ».

Comme on peut le constater, la position du lecteur est donc aussi inconfortable que celle de l’auteur. Il a le choix entre « accepter » ou « rejeter » des récits figés et prévisibles, correspondant à la mise en discours d’éléments d’une sémiotique officielle dont les effets ne doivent en aucun cas le perturber. Dans ce sens, le discours de cette doctrine relève totalement d’un discours de propagande et se rapproche même du discours publicitaire prenant la forme d’une manipulation dont l’objectif est de faire adhérer le lecteur au bien fondé de ce qu’elle prône. Nous verrons au fur et à mesure du développement de notre travail différents aspects de cette sémiotique dont nous venons d’esquisser ici les grands traits ; nous nous concentrerons sur les formes de subversion et d’écart qui se profilent aussi bien pour l’énonciateur que pour l’énonciataire.

Notes
50.

J.P. Champseix nous livre à ce propos que pour les étudiants albanais, « les ‘limites’ d’un écrivain, quelle que fût son époque, correspondaient à l’énumération de ses lacunes par rapport aux ‘voies’. Des étudiants n’hésitaient pas à affirmer, par exemple, que Montesquieu était ‘limité’ parce qu’il n’avait pas pris conscience du rôle révolutionnaire de la classe ouvrière, de même que Zola qui n’incita pas à fonder un parti des professionnels de la révolution. L’explication de texte tournait au procès de l’auteur au cours duquel étaient mesurés ses mérites et surtout ses ‘insuffisances’ » (op. cit., p.125).