1.7. Sur quelques problèmes d’esthétique et de réception de l’œuvre littéraire

Les difficultés auxquelles le lecteur est confronté dans son processus de lecture du texte nous obligent à prendre en compte la problématique esthétique de la réception de l’œuvre littéraire. Soulignons que la question esthétique ne relève pas directement de la sémiotique, mais certains concepts développés par elle peuvent nous aider à examiner la façon dont les formes nouvelles sont accueillies par le lecteur, le rôle spécifique qu’elles jouent dans une œuvre littéraire et la manière dont elles heurtent la « norme » et l’« horizon d’attente » du lecteur.

Il faut souligner que la dénomination générale « d’esthétique de la réception » à laquelle nous faisons appel dans cette section de notre travail se divise en deux orientations : selon W. Iser, au sens strict du terme, la réception « étudie le travail du texte. Elle prend appui dans une large mesure sur des témoignages qui révèlent les opinions et les réactions qu’elle considère comme des facteurs déterminants. » Mais simultanément « le texte donne lui-même de manière anticipée son mode de réception et libère en cela un potentiel d’effet dont les structures mettent en branle et jusqu’à un certain point contrôlent les processus de réception » (1985, Avant-propos).

D’après W. Iser, la réception et l’effet constituent ainsi les points d’ancrage essentiels de l’esthétique de la réception. « Face à ses diverses orientations, celle-ci applique des méthodes historiques-sociologiques pour la réception, ou théoriques et textuelles quand il s’agit d’étudier l’effet produit. L’esthétique de la réception atteint son plein développement lorsque ces deux orientations se trouvent combinées » (Ibid.).

En ce qui nous concerne, nous avons jusqu’à présent consacré toute notre attention sur les effets que la forme fragmentée du texte produit sur le lecteur et l’interaction qui naît de la prise en charge et l’actualisation de l’objet textuel par la lecture. Cela a été et continue d’être notre objectif principal. Cependant, nous tenons ici à accorder également une petite place à l’autre orientation de l’esthétique de la réception. Nous voulons considérer la réception de l’œuvre kadaréenne par le lecteur réaliste socialiste en nous fondant sur une « enquête » informelle réalisée par J.P. Champseix auprès des étudiants de l’Université de Tirana, lors de son séjour en Albanie en tant que lecteur de français à la Faculté des Langues Étrangères (cf. infra). Mais tout d’abord, nous allons reprendre rapidement quelques concepts théoriques développés par les travaux de H.R. Jauss.