2.2. Méthodologie, procédures, phénomènes à observer

Avant de commencer l’étude de notre corpus, précisons tout d’abord notre protocole d’analyse. Il s’agit d’une démarche en trois temps qui comprend une première étape, essentielle, de prise en compte du découpage interne et de la disposition intra textuelle des textes, afin de mettre à jour, dans un deuxième temps, des phénomènes figuratifs complexes que chacun des romans de notre corpus enferme en lui-même ; l’objectif final est d’arriver, dans un troisième temps, à des procédures d’analyses corrélatives à la problématique de l’énonciation et à une typologie des phénomènes narratifs que nous allons essayer de formaliser.

Rappelons que dans le cadre théorique sur lequel nous nous fondons (cf. sémiotique des ensembles signifiants), le découpage du texte occupe une place importante du fait de la relation qui peut exister entre découpage, énonciation et organisation narrative. Ainsi, toute inscription d’un élément hétérogène à l’ensemble du texte (passage mis entre parenthèses, texte écrit en italiques, simulacres de coupure, mais aussi insertion de pratiques discursives différentes) sera considérée comme une marque de dispersion narrative, en lien avec l’énonciation.

Dans une perspective de lecture ou d’analyse, la division est, en effet, à considérer comme une première démarche empirique, visant à décomposer provisoirement le texte en grandeurs plus maniables (opération qui dégage des unités textuelles) : les séquences ainsi obtenues ne sont pas pour autant des unités discursives établies, mais seulement des unités textuelles. Cependant, elles constituent un dispositif préalable à une proposition d’organisation du sens du texte. Le parcours interprétatif consiste notamment dans l’attribution de contenus, dans l’examen des transformations des figures que les découpages mettent en forme et dans la constitution du sujet lecteur qui prend en charge l’objet textuel pour en faire un discours ou un tout de signification. Dans le cas de nos textes fragmentés, nous serons particulièrement attentive aux disjonctions catégorielles de différents types que les découpages et la mise en forme du texte mettent en place, qu’elles soient actorielles, spatiales, temporelles, narratives, énonciatives, thymiques ou topiques. Par la suite, nous verrons quel lien s’établit entre ces différents découpages et l’organisation narrative de l’ensemble du discours.

Pour une meilleure étude de l’organisation narrative, nous examinerons en détail les modes de narration à partir des traces que l’énonciateur a laissées dans l’énoncé, notamment à travers les décisions qui lui incombent : choix de l’instance narrative (« qui raconte ? »), de la focalisation et des perspectives (le point de vue à partir duquel est mené le récit), de la disposition temporelle, etc. Quant au niveau de l’histoire, l’examen concernera le schéma narratif ainsi que l’étude des actants : tâches, qualifications, fonctions, relations etc., sans oublier que le parcours narratif représente un cours d’actions qui a une certaine forme, mais qui n’apparaît jamais sous la forme du schéma narratif ou de la grammaire fondamentale. Ainsi, serons-nous amenée à considérer la tension qui se crée entre les événements tels qu’ils se déroulent dans l’histoire racontée et les événements tels qu’ils sont racontés par le récit. La mise en rapport de l’ensemble de ces éléments nous permettra de mettre en évidence des types de fragmentation et nous orientera vers une prise en compte des stratégies de l’énonciateur.

Il ne faut pas oublier que du côté de la production, les procédures de textualisation telles que la mise en perspective, la focalisation, la dimension cognitive de l'observateur etc., disent quelque chose sur le rapport énonciateur/énonciataire. Nous savons par exemple que la mise en perspective consiste pour l’énonciateur dans le choix qu’il est amené à faire dans l’organisation syntagmatique des programmes narratifs, compte tenu des contraintes de la linéarisation des structures narratives. En lien avec la mise en perspective, le choix des points de vue est également important. Il consiste dans l’ensemble des procédés utilisés par l'énonciateur pour faire varier l'éclairage, c'est-à-dire pour diversifier la lecture que fera l'énonciataire du récit pris dans son ensemble ou de certaines de ses parties. Les programmations textuelle et temporelle régissant quant à elles respectivement la succession linéaire des programmes narratifs ou la mise en ordre chronologique de divers programmes, relèvent également de la compétence discursive de l'énonciateur. Il s’agit de deux formes d'intervention de l'énonciateur qui laissent toutefois une marge stratégique dans l'organisation du discours.

Du côté de la réception, il s’agit de voir le(s) type(s) de saisie que le texte oblige à faire au lecteur, les règles et les conditions de la constitution de la cohérence et des modalités d’organisation du sens. C’est ce que nous allons essayer de faire au point suivant à travers l’étude des romans qui constituent notre corpus. Soulignons cependant que notre projet n’est pas de conduire une analyse exhaustive des textes, mais de mettre en évidence les phénomènes les plus pertinents du point de vue de notre problématique.