2.3.4.1. Un roman autobiographique.

En ce qui concerne la forme du livre, il importe de souligner qu’il ne s’agit pas simplement d’un roman. D’ailleurs, un lecteur albanais ou français qui disposerait d’informations extra-textuelles concernant l’auteur, son origine et la ville qu’il décrit, serait en effet prédisposé à voir dans la Chronique plus qu’une simple fiction, en l’occurrence, un récit autobiographique. Cependant, précisons tout de suite que ce livre n’est pas une autobiographie car il ne remplit pas toutes les conditions de ce genre littéraire dont P. Lejeune nous donne la définition dans Le pacte autobiographique. Selon ce dernier, en effet, l’autobiographie est un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité » (1975 : 14). Sa définition implique par ailleurs, les éléments suivants :

1. Forme du langage :

a) récit

b) en prose. 

2. Sujet traité : vie individuelle, histoire d’une personnalité.

3. Situation de l’auteur : identité de l’auteur (dont le nom renvoie à une personne réelle) et du narrateur.

4. Position du narrateur :

a) identité du narrateur et du personnage principal.

b) Perspective rétrospective du récit.

La Chronique ne remplit pas la condition trois de cette liste. De facto, nous ne pouvons pas prouver l’identité de l’auteur avec celle du narrateur. Mais elle remplit cependant toutes les autres. Il s’agit bien d’un récit en prose, écrit dans une perspective rétrospective. Le sujet concerne principalement la propre vie du narrateur-personnage qui se meut dans le cadre de sa ville natale, laquelle subit les invasions de plusieurs armées étrangères. Enfin, le narrateur et le personnage principal constituent une seule instance qui s’exprime « à la première personne ».

Nous dirons donc que Chronique de la ville de pierre est un roman autobiographique. Selon P. Lejeune, entrent en effet dans cette catégorie tous les textes de fiction dans lesquels « le lecteur peut avoir des raisons de soupçonner, à partir des ressemblances qu’il croit deviner, qu’il y a identité de l’auteur et du personnage, alors que l’auteur, lui, a choisi de nier cette identité ou du moins de ne pas l’affirmer. Ainsi défini, le roman autobiographique englobe aussi bien des récits personnels (identité du narrateur et du personnage) que des récits « impersonnels » (personnages désignés à la troisième personne) ; il se définit au niveau de son contenu. A la différence de l’autobiographie, il comporte des degrés. La « ressemblance » supposée par le lecteur peut aller d’un ‘air de famille’ flou entre le personnage et l’auteur, jusqu’à la quasi-transparence qui fait dire que c‘est lui ‘tout craché’ » (Lejeune, 1975 : 25).

L’identification dans Chronique de la ville de pierre d’une autobiographie romancée est d’une importance capitale pour notre travail car elle nous permettra d’assimiler notre narrateur au type de narrateur « autobiographique », tel que nous l’avons défini précédemment (cf. supra : dédoublement du narrateur autobiographique). Dans Chronique de la ville de pierre l’auteur n’a conclu aucun pacte romanesque avec le lecteur et son identité avec le personnage n’est pas plus affirmée que niée. En outre, notre narrateur-personnage n’a pas de nom. Cela correspond chez P. Lejeune à un cas « indéterminé », mais selon lui, les textes où le « pacte romanesque » est absent et où le narrateur-personnage n’est pas nommé, peuvent être lus comme des romans.