2.3.4.3. Syntagmatisation des formes discursives

Syntagmatiquement parlant, Chronique de la ville de pierre se présente comme un texte où des « fragments de chronique » sont intercalés et juxtaposés aux pages d’un récit fait à la première personne par un enfant, qui est en même temps narrateur et personnage. C’est ce récit chronologique, réparti en 18 chapitres numérotés, qui constitue d’ailleurs le pilier de la narration. A quoi s’ajoutent les passages en italiques, très fréquents dans le texte, les « propos de la vieille Sose » et le « propos d’inconnus » qui constitue une autre forme de cette chronique à plusieurs « chroniqueurs ».

Mais arrêtons-nous un moment sur le mot « chronique » présent dans le titre. Il suggère un « recueil de faits historiques, rapportés dans l’ordre de leur succession » (Petit Robert). Or, en réalité, il s’agit plutôt de « fragments de chronique » au sens de « partie d’un journal consacrée à un sujet particulier » (Ibid.) que nous rencontrons dans ce livre de Kadaré. Utilisé à plusieurs reprises et ayant des sens différents dans cet ouvrage, ce terme générique est un indicateur énonciatif à prendre en considération. En effet, la juxtaposition des différents types de chronique présents dans le texte constitue, selon notre hypothèse, un effet de sens. De fait, ce mot est d’abord utilisé dans le titre comme indication de genre tel que nous l’avons défini plus haut. Quant aux « fragments de chronique » internes au livre, nous pouvons remarquer en revanche qu’ils ne se présentent pas de la même manière que l’ensemble du récit. Il y aurait donc deux types de chronique en présence dans cet ouvrage de Kadaré : celle de l’enfant (dans le récit) et une autre chronique (celle des adultes) qui apparaît premièrement dans les « fragments de chronique » par la voix officielle des journaux, chronique relayée ensuite par la vieille Sose dans les passages intitulés « à défaut de la chronique », ainsi que par le « propos d’inconnus ».

Fermons ici notre parenthèse et revenons sur la présentation des différents fragments dans le texte. A travers la prise en compte de leur syntagmatisation, nous essayerons de mettre en évidence les spécificités énonciatives de chaque découpage et les effets de sens qui en résultent pour le lecteur.