Questions de recherche

Le désir des Etats ouest africains de se doter d’une monnaie unique a été très longtemps considéré comme relevant du « panafricanisme », c’est-à-dire qu’on recherche juste à ensevelir un des vestiges les plus évocateurs de la colonisation13. La relance du projet alors que cette idéologie ne cesse de s’affaiblir montre que les raisons ne sont pas uniquement que politiques. En revanche, cette relance aurait des relents mimétiques. Car, comme le notent Asanté et Masson (2001), l’aboutissement du projet d’unification monétaire européen n’est pas étranger au regain d’intérêt noté chez les responsables politiques ouest africains actuels. Même si ces derniers estiment tout simplement que la question monétaire ne peut plus continuer à être ignorée dans le processus d’intégration régionale. En effet, malgré les diverses et nombreuses initiatives d’intégration régionale ayant visé l’accroissement du commerce intra-régional, celui-ci n’a crû en trente ans que de sept points, passant de 4,1% en 1975 (année de création de la CEDEAO) à environ 11% actuellement. Ce résultat est d’ailleurs attribuable en grande partie aux pays de l’UEMOA entre lesquels le niveau des échanges avoisine les 12% de leur commerce total alors qu’entre les pays hors UEMOA, cette proportion n’est que de 5% environ. On a très souvent expliqué ces faibles résultats par le manque de complémentarité entre les économies et par leur caractère extraverti, mais le développement du commerce parallèle dans la région affaiblit cette hypothèse. Le mode opératoire de ce commerce parallèle14 montre que l’essor du commerce officiel bute aussi sur l’absence de moyens de paiement propres à la région. La multiplicité des monnaies inconvertibles dans l’espace CEDEAO n’affecte pas que le commerce intra-régional seulement, elle constitue également un problème de politique économique. En effet, la cohabitation du franc CFA avec ces monnaies qu’on laisse régulièrement se déprécier ou qu’on dévalue pose un problème de « dumping monétaire » dont Lelart (1997) se demande s’il ne va pas, à plus ou moins brève échéance conduire à l’éclatement de l’UEMOA15.

De notre point de vue, les décisions communautaires visant la promotion des échanges commerciaux formels ne produiront qu’un effet limité en Afrique de l’Ouest tant que l’obstacle monétaire ne sera pas levé. Certes, l’existence de moyens de paiement ne saurait suffire, mais elle reste sans nul doute une condition élémentaire dans la promotion d’échanges commerciaux entre un groupe de pays. Ce n’est donc pas le principe de monnaie régionale que nous discutons dans ce travail, mais la pertinence des solutions qu’une telle monnaie pourrait apporter aux problèmes (instabilité politique, instabilité macroéconomique,…) évidents qui se posent aux pays de la CEDEAO ainsi que les conditions de réussite et de viabilité d’un tel projet en Afrique de l’Ouest compte tenu justement des problèmes nommés.

Notes
13.

Rappelons que tous les Etats avaient conservé les liens monétaires avec l’ancienne puissance colonisatrice après leur accession à l’indépendance (à l’exception de la Guinée.

14.

Exporter des produits agricoles ou primaires vers un Etat voisin, utiliser les recettes de vente (en monnaie locale) dans l’achat de produits revendables dans le pays d’origine de l’exportateur ou recours au marché parallèle de devises (plus facile à accéder).

15.

Vu le poids économique des pays concurrents : le Nigeria dont la population et le PIB représentent près du double de l’ensemble UEMO, le Ghana qui a quasiment la taille de la Côte-d’Ivoire (la première économie de l’UEMOA), pour ne citer que ceux-ci.