Chapitre 1 Cheminement monétaire individuel et dynamique d’intégration monétaire en Afrique de l’Ouest

Introduction du Chapitre

L’histoire monétaire de l’Afrique de l’Ouest a connu, à ce jour, trois phases distinctes : la phase précoloniale, la phase coloniale et la phase postcoloniale. La première se caractérise par la circulation de diverses monnaies rudimentaires (cauris, manilles, poudre d’or, bandes d’étoffe et autres produits artisanaux) dont l’émission et la gestion n’étaient pas réglementées par une puissance publique. La seconde correspond à l’institutionnalisation de l’usage monétaire dans la région mais aussi à l’érection des premières barrières. En effet, dans le cadre de l’affirmation de leur souveraineté sur les territoires conquis, les pays colonisateurs interdirent les monnaies indigènes et imposèrent les leurs définissant ainsi trois zones monétaires distinctes : la zone sterling (dans les colonies britanniques), la zone franc (dans les colonies françaises) et la zone escudo (dans les colonies portugaises). Présentée simplement, la troisième et actuelle phase correspond à l’ère de la souveraineté monétaire avec l’avènement des Etats indépendants. Selon le degré d’exercice de ce privilège, deux expériences monétaires sont menées dans la région : autonomie monétaire, dans les pays anglophones, lusophones et en Guinée et union monétaire, entre les pays francophones. Seuls deux pays ont eu à renoncer à leur premier choix en changeant de camp : l’un, définitivement et l’autre, momentanément. Il s’agit respectivement de la Guinée-Bissau, qui a adhéré à l’UEMOA en 1997 et du Mali qui a fait le chemin inverse en quittant la zone franc le 1er juillet 1962 et en la réintégrant le 1er juin 1984. En somme, l’espace monétaire régional se compose, dans cette phase postcoloniale, de huit sous-ensembles disjoints18.

C’est sur ce cadre monétaire hétérogène que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a été créée le 28 mai 1975. Eu égard au contexte politique de l’époque19, l’objectif immédiat de l’organisation fut centré exclusivement sur la promotion des échanges commerciaux intra-régionaux. Conscients cependant du rôle indispensable d’un système de paiement commun dans la réalisation de cet objectif, les pères fondateurs de la CEDEAO créent la Chambre de compensation de l’Afrique de l’Ouest (CCAO) en 1976. La CCAO était destinée à faciliter les échanges en attendant la réalisation de la zone monétaire unique visée dans le traité.

De par son mode de fonctionnement, cette Chambre était supposée apporter une solution à l’inconvertibilité des monnaies nationales des pays non membres de la zone franc. Les résultats décevants obtenus après dix-sept ans d’activité ont conduit les dirigeants de la région à envisager, dans le traité révisé de la CEDEAO de 1993, un programme de coopération monétaire mieux élaboré qui se traduit par : la transformation de la CCAO en Agence monétaire, la mise en circulation de chèques de voyage CEDEAO, l’élimination des barrières non tarifaires de nature monétaire et l’adoption de régimes de change basé sur les forces du marché (rapport de CEA, 2002). En plus de l’espoir de le voir catalyser les échanges commerciaux, ce programme était également destiné à rapprocher les systèmes monétaires nationaux. Face toujours aux faibles résultats, les Chefs d’Etat décident alors, lors du sommet annuel de la CEDEAO de 1999, d’y ajouter du volontarisme politique pour accélérer le processus d’intégration régionale en générale et l’intégration monétaire en particulier. La décision des six pays de la région non membres de la zone franc CFA de créer une union monétaire entre eux assortie d’intention de fusion à terme avec l’UEMOA s’inscrit dans cette nouvelle orientation.

Nous proposons dans ce chapitre une analyse des cadres monétaires en vigueur dans les deux sous-ensembles constituant la CEDEAO (la zone franc CFA et l’espace hors zone franc CFA) ainsi que des différentes initiatives prises pour pallier leur cloisonnement. L’objectif est de rechercher d’éventuels motifs d’insatisfaction dans leur fonctionnement susceptibles de justifier l’intention de les remplacer par une union monétaire régionale. Nous structurons le chapitre de la manière suivante : dans une première section, nous étudions l’aile ouest-africaine de la zone franc à travers son évolution historique, ses institutions, son fonctionnement ; au travers un bilan sommaire, nous apprécions les résultats obtenus par rapport aux hypothèses qui ont sous-tendu son maintien. Comme dans tout bilan, notre objectif est d’essayer de cerner ce qui marche et ce qui ne marche pas dans cet arrangement monétaire original. Dans une deuxième section, nous retraçons les politiques monétaires et de change des pays à autonomie monétaire. Là aussi, un bilan global nous permettra d’apprécier le bien-fondé de la décision des six pays concernés de renoncer au privilège de battre leur monnaie. Dans une troisième section, nous nous intéressons aux succès et insuffisances des mécanismes et outils employés pour rapprocher les deux sous-ensembles monétaires et nous terminons par la présentation de l’approche adoptée pour la réalisation de l’objectif de l’union monétaire visé dans l’article 3 du traité révisé de la CEDEAO.

Notes
18.

Car sept des huit monnaies qui y circulent sont inconvertibles.

19.

En cette période où on s’efforce à construire des Etats-nations, toute question touchant à la souveraineté était de nature sensible.