b. Suppression de la variabilité des cours de change

Sur le plan théorique, l’idée selon laquelle la variabilité des cours de change pourrait avoir un effet négatif sur les échanges commerciaux entre les pays repose sur le risque de découragement que les coûts pouvant en résulter font peser sur la décision des agents économiques à s’engager dans le commerce international. En effet, dans la majorité des transactions commerciales internationales 83, il y a un décalage entre la date de conclusion du contrat de vente (ou d’achat, selon le côté où l’on se situe) et celle du règlement. Ce décalage expose les contractants à un risque de change lorsque leurs monnaies nationales respectives sont régies par des régimes de change flottants. L’impossibilité de savoir au moment de la signature du contrat le sens de variation future du taux de change rend difficile toute anticipation. Si le vendeur peut éliminer le risque d’une évolution défavorable de change en exigeant (s’il est en mesure de le faire) que l’opération soit libellée dans sa monnaie nationale, il ne restera alors à l’acheteur que les instruments de couverture proposés sur les marchés à terme pour se couvrir. Et vice versa.

Entre pays disposant de marchés financiers développés, c’est-à-dire dans lesquels des instruments de couverture à terme efficaces existent, le risque de change a peu d’incidence sur les échanges commerciaux. En revanche, il constitue un facteur déterminant dans les pays où les marchés financiers ne sont pas développés (couverture à terme inexistante) ou le sont faiblement (couverture à terme rare et coûteuse), et donc devrait l’être dans la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest si les monnaies nationales étaient convertibles. Ceci n’étant pas le cas, l’étude de l’incidence de la variabilité des cours de change se ramène, dans le projet de monnaie unique de la CEDEAO, à celle induite par les cours de change réels84.

En effet, comme Viner l’a montré, le regroupement en zone de libre échange est générateur d’effets multiplicateurs de commerce entre les membres par le jeu de création et de détournement des flux d’échanges. Il est cependant évident que ce jeu ne peut se mettre en œuvre sans l’existence préalable de possibilités d’échanges. Contrairement au commerce parallèle85, "le certificat d’origine 86 précise que les échanges officiels concernent uniquement les biens (vivriers ou manufacturés) produits dans la région ouest-africaine. Ceci dit, il est donc impératif de mettre les secteurs de production de ces produits à l’abri de tout ce qui peut nuire à leur essor, notamment les dévaluations compétitives et l’instabilité des taux de change réels ; ce qui n’est pas le cas en ce moment. Selon Laporte (1996), la division par trois de la valeur réelle des monnaies ghanéenne et nigériane, durant la décennie 1980 a remis en cause des pans entiers de secteurs industriels de certains pays voisins tel que le secteur textile de la Côte-d’Ivoire. De même, d’après Igué (1985), au temps où le "naira" était rattaché à la livre sterling, donc convertible, le Nigeria attirait le cacao béninois et les céréales nigériennes. L’effondrement de la valeur parallèle du "naira" consécutif à son détachement de la livre sterling, à son inconvertibilité et à ses multiples dévaluations a inversé la direction des flux. Ce sont désormais les produits nigérians moins chers (céréales, cacao, engrais, produits pétroliers,…) qui inondent les marchés des pays limitrophes (Togo, Niger, Bénin). Le même phénomène est observé entre le Ghana et ses voisins de la zone franc CFA : la Côte-d’Ivoire et le Togo. Alors que le Ghana attirait les produits de ces pays, le flux s’est inversé depuis qu’il a adopté des régimes de change permettant l’ajustement de la valeur de sa monnaie en cas de surévaluation par rapport au dollar87. Ces ajustements entraînent régulièrement une baisse de la valeur du "Cedi" par rapport au franc CFA sur le marché parallèle de change rendant ainsi les produits primaires ghanéens (cacao, or, diamant,…) moins chers et donc très demandés par les contrebandiers à des fins de revente dans les pays voisins. Enfin, grâce à un taux de change parallèle favorable, le marché parallèle de la Gambie constitue une pompe aspirante pour les produits vivriers et d’exportation du Sénégal.

En raison des diverses et nombreuses barrières commerciales dans les circuits officiels, les variations des taux de change parallèles entre les monnaies88 consécutives à des ajustements monétaires (dévaluations ou dépréciations) ne stimulent que les échanges parallèles au niveau régional. Or, par nature ceux-ci échappent au contrôle des Etats et pire encore appauvrissent89 les agriculteurs (pour les produits vivriers) et les planteurs (pour les produits primaires d’exportation). Au final, c’est le tissu productif sous-régional qui est mis en péril puisque les gains obtenus par les producteurs ne leur permettent pas de développer leur activité et l’évasion fiscale empêche toute possibilité de politiques de subvention. C’est pour toutes ces raisons que Laporte (1996) estime que l’intégration monétaire devrait précéder l’intégration commerciale dans les pays en voie de développement, en général et dans les pays de l’Afrique de l’Ouest, en particulier. Selon lui, une telle solution permettrait de stabiliser les taux de change réels grâce à l’abandon des dévaluations compétitives, au faible niveau de l’inflation et au desserrement de la pression que la recherche de devises étrangères exerce sur les monnaies nationales (et qui se traduit par leur dépréciation permanente vis-à-vis de ces devises).

Notes
83.

A l’exception des opérations faites au comptant.

84.

Dans la littérature théorique consacrée aux conséquences de la variabilité des cours de change, on ne fait pas une distinction nette entre la variabilité des cours de change réels et de celle des cours de change nominaux ; on parle en général de cours de change flottants simple, parce que les deux variabilités coïncident lorsque les taux de change sont flottants.

85.

Dans lequel on pourra rencontrer aussi bien des biens produits dans la région que des biens extra régionaux.

86.

Dans le cadre du "Schéma de Libéralisation des Echanges (SLE), un certificat est prévu pour attester de l’origine régionale des produits admis à la libre circulation. Qu’ils soient crus ou industriels, ils doivent être produits dans la région.

87.

Voirchapitre 1, section 2.

88.

Signalons que les monnaies nationales inconvertibles dans les circuits officiels sont convertibles dans les circuits parallèles. Elles s’échangent selon des taux de conversion déterminés par l’offre et la demande (voir annexe n°10).

89.

Compte tenu des prix dérisoires auxquels ils rachètent ces produits aux producteurs qui sont obligés de les vendre puisque ne disposant pas de structures de distribution adéquates ni de moyens de transport pour acheminer leurs récoltes dans les marchés des grandes villes.