1.3.1 Coût d’adaptabilité

Dans un marché régional très intégré où les biens circulent librement et correctement, le rapport "qualité/prix" constitue en principe l’unique critère objectif de choix des biens93. Sur la base de cette supposition, il est possible que des consommateurs d’un pays se tournent vers la consommation massive d’un bien produit par un autre pays partenaire (parce coûtant moins cher) au détriment du bien (identique) produit par leur propre pays. Si le pays touché par la baisse de la demande dispose d’une autonomie monétaire, tôt ou tard une dévaluation de sa monnaie finira par restaurer la compétitivité de son produit. En effet, une dévaluation renchérit les prix des biens importés obligeant les consommateurs sinon à renoncer, au moins à réduire la consommation de produits importés ; inversement, les consommateurs des pays limitrophes (surtout) seront incités à accroître leur demande de biens produits par ce pays (du fait de l’appréciation du cours de change de leur monnaie par rapport à la monnaie de ce pays). La conjugaison de ces deux effets exerce une impulsion sur la demande qui passe alors de D (position déficitaire) à D’ (position d’équilibre de la balance commerciale) sur le graphique ci-après. Même si symétriquement l’offre diminue de S à S’ sous l’effet combiné de l’augmentation du prix de certains intrants (à importation incompressible) et des salaires (pour retrouver leur pouvoir d’achat d’avant dévaluation), le retour à l’équilibre (YE) se fait essentiellement au prix d’une augmentation de l’inflation (illustré par le déplacement du niveau des prix de P1 à P2). Grâce à la flexibilité des variables nominales (taux de change et taux d’inflation, pour le cas précis), le choc négatif subit par la demande n’atteint pas les variables réelles (YE reste intact).

Graphique 2.1 :
Graphique 2.1 :mécanisme d’ajustement dans une économie à autonomie monétaire

Source : De Grauwe (1999)

A supposer maintenant que les deux pays fassent partie d’une union monétaire. Dans ce cas, l’ajustement se fait inévitablement par le biais des variables réelles, puisque des contraintes de fixité pèsent sur les variables nominales. Essayons de formaliser le processus d’ajustement. Pour ce faire partons de la définition de l’équilibre de la balance commerciale selon De Grauwe94 :

Pd Y = Pa A

Où : Pd est le prix des biens domestiques ; Y, le niveau de l’output domestique ; Pa, l’index des prix moyens des biens domestiques et importés et A, l’absorption (ou dépenses des résidents) en termes réels. Il y a déficit de la balance commerciale lorsque,

Pd Y < Pa A

Pour corriger ce déséquilibre en l’absence de dévaluation, l’action doit se traduire nécessairement par une réduction de A. Puisque A se compose à la fois de biens domestiques et de biens importés, il va s’en dire que sa réduction affectera inéluctablement la demande de biens domestiques. Ceci étant, la restauration de l’égalité exige des conditions supplémentaires directes et indirectes :

  • conditions directes : il faudrait une baisse simultanée de Y (qui entraînera une hausse de Pd ; puisque par définition il existe une relation négative entre Pd et Y), mais aussi une relative stabilité de Pa.
  • conditions indirectes : il faudrait que les salaires et les prix soient flexibles pour que la baisse de la production, donc de la croissance, n'entraîne pas des licenciements. Or tout porte à croire que la flexibilité (dans le sens de la baisse) surtout des salaires n’est pas une donnée certaine. En effet, on remarque en ce moment dans la zone euro que les réactions des entreprises face à l’affaiblissement de leur position relatives passent plutôt par des réductions d’investissements et de suppressions d’emplois que par des baisses de salaires.

De même les effets des disparités entre les niveaux de productivité des partenaires commerciaux sont généralement neutralisés par les taux de change. Par exemple, lorsque la production d’un bien coûte une heure de travail dans un pays A et est vendu à 1umA (um=unité monétaire) et deux heures dans un pays B et est vendu à 2umB, alors le rapport d’échange nécessaire à la préservation des deux systèmes productifs est : 1umA contrer 2umB. Tout autre rapport sera préjudiciable à l’un des deux pays.

Par quels mécanismes corrige-t-on ces déséquilibres dans une union monétaire ? Sans doute en agissant sur les variables réelles. Par exemple si les deux pays utilisent une monnaie unique (umA =umB), alors le pays B doit agir sur la main-d’œuvre (soit en l’augmentant tout en la sous payant par rapport à A ; soit en l’obligeant à travailler plus sans payer le supplément de travail). Dans une union monétaire, il faut donc espérer que les syndicats des différents pays ne se coalisent pas pour réclamer une homogénéisation des salaires [De Grauwe, 1998].

Notes
93.

On néglige le nationalisme économique persistant.

94.

L’équilibre de la balance commerciale est défini par l’égalité entre la valeur de l’output domestique et la valeur des dépenses des résidents (parfois appelée aussi "absorption").