2.2.1 Le échanges commerciaux au sein de la CEDEAO

Les échanges commerciaux entre les pays ouest africains n’ont pas beaucoup progressé malgré trois décennies d’existence de la CEDEAO. De 4,1%101 en 1975 (année de création de la CEDEAO), les échanges entre les Etats membres ne représentent qu’environ 11% de leur production totale en 2005 (12,6% dans le sous-ensemble UEMOA). Et pourtant la promotion de ces échanges était la seule mission assignée à cette Organisation à sa création102.

Toutefois, à l’échelle du continent, elle reste tout de même le regroupement régional le mieux intégré puisque les échanges entre les pays membres de l’Union Maghreb Arabe (UMA) représentent à peine 3% de leurs productions regroupées contre 7% dans le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), environ 5% dans la CEMAC et 8% dans la Communauté du développement de l’Afrique australe (SADC).

En revanche, comparée aux autres blocs régionaux dans le monde, la CEDEAO arrive très loin derrière. En En effet, les exportations et les importations intra régionales représentent respectivement 60% et 55% dans l’Union européenne (UE) ; 40% et 54% dans l’ALENA (Accord de libre échange nord-américain) ; 22% et 18% dans l’Association of southeast asian nations (ASEAN) et 19% et 17% dans le Mercado común del sur (MERCOSUR).

Graphique 2.2 : Part des exportations intra-communautaires dans les exportations totales dans les principaux regroupements régionaux africains

Source : Club du sahel et de l’Afrique de l’Ouest/OCDE, 2007

En tant que moyennes, les statistiques données ci-dessus ne permettent pas d’appréhender le degré d’implication des pays dans le commerce intra-régional, encore moins l’évolution de cette implication. Pour avoir ces deux informations dans l’espace CEDEAO, nous analysons les tendances qui émergent des statistiques de chaque pays sur la période 1996-2005. Le choix de la période s’explique par le désir de comparer la situation antérieure à 1999103 à celle postérieure à cette date.

Le tableau 2.1 présente les importations de presque tous les pays de la région104. Il apparaît que ce sont les pays membres de l’UEMOA (en fond gris sur le tableau) qui constituent globalement les gros importateurs de produits communautaires avec en tête les pays enclavés105 que sont le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Dans le sous-espace des pays candidats à la ZMAO (en fond jaune), c’est la Sierra-Leone qui est le pays le plus tourné vers le « marché régional » suivie du Ghana et de la Guinée.

Pays 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Bénin 12,5 11,9 11,2 23,5 20,9 23,4 23,0 24,8 25,5 25,5
Burkina Faso 28,4 24,5 22,8 23,3 24,4 30,0 28,0 32,5 34,1 43,5
Côte-d’Ivoire 21,9 17,3 12,6 16,0 28,7 20,6 16,7 19,1 24,7 30,8
Guinée-Bissau 0,0 0,0 16,3 16,3 14,6 15,1 15,0 17,6 26,0 37,5
Mali 43,1 44,5 34,2 28,2 35,1 28,2 37,1 45,0 61,7 25,0
Niger 20,7 26,1 26,4 30,6 35,1 34,3 31,6 33,7 38,1 26,3
Sénégal 8,6 10,4 8,7 10,4 21,9 13,4 12,2 28,0 28,3 26,9
Togo 10,3 11,9 2,0 2,0 2,2 5,1 5,1 11,0 11,9 9,1
Gambie                    
Ghana 6,2 17,1 12,1 15,1 17,8 17,8 7,6 19,8 10,4 13,9
Guinée 15,4 7,4 7,5 9,0 19,8 18,6 19,4 9,5 26,4 13,9
Nigéria 21,0 0,2 0,5 0,2 0,7 3,0 0,7 2,2 1,6 3,1
Sierra-Leone 0,0 24,1 15,5 31,5 20,0 17,2 17,4 20,6 22,6 22,1
  6,3 6,6 8,6 11,7 17,0 12,9       13,0

Source : calculs à partir des données de la CEDEAO et de la Banque Africaine de Développement

Sur le plan des exportations (tableau 2.2), la Côte-d’Ivoire, le Niger et le Sénégal apparaissent comme les principaux fournisseurs de la Communauté. Cependant, si le rang de la Côte-d’Ivoire et du Sénégal s’explique par leur niveau d’industrialisation, celui du Niger repose sur le fait que ses produits d’exportation (bovins, caprins, ovins, niébé, oignons) ne peuvent être écoulés que dans la région.

Ce sont encore les pays membres de l’UEMOA qui assurent l’essentiel des exportations dans la région. Parmi les pays candidats à la ZMAO, le Ghana et la Sierra-Leone se démarquent légèrement : le premier, pour la régularité de la progression de ses exportations vers les pays de la Communauté et le second, pour les niveaux atteints.

Tableau 2.2 : Les exportations totales de chaque pays vers la CEDEAO en % de ses exportations totales
Pays 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Bénin 2,5 2,6 4,6 5,1 9,7 16,7 25,6 12,0 13,7 15,8
Burkina Faso 16,3 14,2 3,3 9,7 15,9 17,9 16,4 14,7 24,3 62,9
Côte-d’Ivoire 18,3 18,9 22,5 21,0 25,9 24,6 25,2 17,0 21,8 24,8
Guinée-Bissau 0,0 0,0 17,4 19,3 17,3 18,0 18,0 0,1 0,3 0,9
Mali 28,5 15,6 67,8 19,3 20,2 20,2 14,6 9,6 10,4 29,8
Niger 23,0 20,9 19,8 25,3 34,3 27,7 26,9 24,7 21,5 22,9
Sénégal 11,7 12,2 24,1 21,9 24,4 25,3 25,9 22,0 22,7 21,8
Togo 4,3 4,4 6,3 9,1 9,8 22,9 21,9 27,2 31,6 22,2
Gambie 1,1 0,9 1,2 4,4 6,7 0,5 0,6 0,4 0,2 1,8
Ghana 5,7 7,1 6,7 7,8 5,5 5,3 8,1 7,9 5,8 8,0
Nigéria - 16,9 7,1 6,5 5,1 4,6 8,3 4,6 3,8 3,8
Gambie 1,1 0,9 1,2 4,4 6,7 0,5 0,6 0,4 0,2 1,8
Guinée 11,0 3,1 10,8 0,7 0,3 1,2 1,3 10,4 1,6 7,3
Sierra-Leone 0,0 25,8 31,7 45,6 49,2 22,8 19,6 0,5 - -
Moyenne

Source : calculs à partir des données de la CEDEAO et de la Banque Africaine de Développement

Enfin, la faible implication du Nigéria dans le commerce intra-régional constitue un autre trait caractéristique des échanges en Afrique de l’Ouest. Alors que ce pays assure, à lui seul, près de 57% des exportations totales de la région, sa part dans les exportations intra-régionales est non seulement faible mais ne cesse de diminuer.

En croisant les données, le tableau 2.3 révèle que, contrairement à l’impression de deux sous-espaces disjoints qui se dégage des deux premiers tableaux, l’essentiel des importations de certains pays membres de l’UEMOA proviennent des pays candidats à la ZMAO (en caractère italique dans le tableau) et vice-versa. Par exemple, la Côte-d’Ivoire est le premier partenaire commercial de la Gambie, de la Guinée et de la Sierra-Leone en termes d’importations ; les importations intra-communautaires de la Côte-d’Ivoire et du Sénégal proviennent principalement du Nigeria et non de leurs partenaires dans l’UEMOA. Le Nigeria, la Côte-d’Ivoire et le Togo  sont les fournisseurs du Ghana dans la régionale. Bref, trois facteurs semblent expliquer les échanges intra-régionaux  en Afrique de l’Ouest :

  1. l’existence d’une frontière commune : l’effet de ce facteur se voit surtout dans les échanges entre pays membres de l’UEMOA et pays candidats à la ZMAO. Ainsi le Ghana, la Guinée et la Sierra Leone importent-ils significativement de la Côte-d’Ivoire. De même, le Niger et le Togo importent beaucoup du Nigeria alors que la Gambie importe notablement du Sénégal ;
  2. la nature des produits d’exportation : bois, cacao, café, coton et pétrole sont les principaux produits d’exportation de la région. De ces 5 principaux produits, seul le pétrole entre dans les grands postes de dépense de tous les pays. D’où l’importance des importations en provenance du Nigeria dans les statistique de la quasi-totalité des pays, plus précisément les plus industrialisés (Côte-d’Ivoire, Sénégal et Ghana).
Graphique 2.3 : Part des produits dans les exportations totales de la région

Source : construit à partir de données tirées de : "perspectives économiques en Afrique 2002, OCDE"

Tableau 2.3 : Répartition géographique du commerce intra-régional(importation du pays mis en évidence en provenance de chacun des pays de la liste en %, 1998-2001) A l’exception du Cap-Vert et du Liberia.

Source : calculs à partir des données de la CEDEAO

En valeur, les importations intra-communautaires des pays membres de la CEDEAO s’élevaient à 5,3 milliards de dollars américains en 2005. C’est dire que les économies qui découleront de la suppression des coûts de transaction liés au change (en cas d’instauration d’une monnaie unique) seront peu importantes. Cependant, ce montant ne représente que 19,3% des importations totales de la région en provenance du reste du monde. La question centrale est donc de savoir si l’approfondissement de l’intégration régionale que l’union monétaire est supposée favoriser induira un accroissement des échanges commerciaux au sein de la CEDEAO par "effet Viner" (c’est-à-dire réduction du commerce avec les pays tiers au profit des pays partenaires). Cela est-il potentiellement possible ? C’est ce qu’on examine dans le point qui suit.

Notes
101.

Rapport sur le développement en Afrique 2000.

102.

Ses domaines d’intervention se sont beaucoup élargis avec le temps. En plus de cet objectif originel, elle s’occupe actuellement des questions politiques, sécuritaires, sociales,…

103.

Année à laquelle la décision de création une zone monétaire unique au sein de la CEDEAO a été prise.

104.

Sauf le Cap-Vert et le Liberia qui ne sont pas engagés (pour le moment) dans le projet d’union monétaire de la CEDEAO.

105.

Ces trois pays n’ont pas d’ouverture sur l’Océan atlantique qui borde la région ouest-africaine.

106.

A l’exception du Cap-Vert et du Liberia.