c. Taille de la population et revenu par habitant

Il est admis que les avantages d’une monnaie unique augmentent au fur et à mesure qu’augmente le nombre de ses utilisateurs. L’espace CEDEAO comptait 260,562 millions en 2005  avec 56% de moins de 20 ans. Sur la base des tendances démographiques actuelles, la population régionale devrait atteindre 325,520 millions en 2015 et 396,402 millions en 2025. A ce rythme de croissance, on peut déduire que l’espace CEDEAO dispose aussi d’un grand potentiel démographique.

Fondé sur l’intuition, le lien positif entre taille de la population et volume des échanges doit néanmoins être relativisé. En effet, dans une région comme celle de l’Afrique de l’Ouest où près de 30% de la population vivent au-dessous du seuil de pauvreté (c’est-à-dire moins d’un dollar par jour) une croissance démographique rapide pourrait même entraver le développement des échanges commerciaux. Car, une telle situation pourrait occasionner des coûts (en termes de scolarisation, de formation, d’alimentation, de santé,…) tellement importants que les avantages qui y sont associés risquent de ne pas pouvoir compenser. Pour que l’accroissement de la population entraîne un accroissement proportionnel du volume des échanges, il faut que les revenus par habitant augmentent simultanément et de façon plus que proportionnelle.

La conclusion de Rodrick (1999) à propos des raisons de la marginalisation de l’Afrique dans les échanges mondiaux s’applique parfaitement aux pays ouest-africains dans leurs échanges entre eux. S’appuyant sur les résultats statistiques ayant trait aux échanges/revenu par tête, à la taille de la population et à la géographie, cet auteur attribue la faible part de l’Afrique dans le commerce international à deux facteurs : la lenteur de la croissance du PIB par habitant et le niveau élevé de l’élasticité des échanges par rapport à la production (il serait supérieur à 1). En observant l’évolution des revenus par habitant en Afrique de l’Ouest (tableau 2.4), l’attention est attirée d’abord par leur faible niveau (comparé à d’autres pays africains comme le Maroc, l’Ile Maurice, le Botswana ou encore les Seychelles. Voir tableau 2.4) ensuite par la faiblesse de leur taux de progression : en cinq ans, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Niger et la Sierra-Leone n’ont pas pu atteindre la moyenne régionale de 2001).

Tableau 2.4 : Evolution du PIB par habitant (en dollars US) aux prix courants du marché
  1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
Bénin 414,92 410,30 379,15 391,31 428,10 528,35 592,06 607,33 662,60
B. Faso 251,40 234,10 216,14 230,27 255,85 331,43 381,83 405,12 441,70
C.d’Ivoire 836,82 807,64 671,58 666,89 714,46 844,37 915,37 912,14 971,15
Gambie 316,71 298,35 281,48 264,77 200,86 171,60 173,71 178,55 179,98
Ghana 402,05 404,77 263,10 270,41 292,87 369,20 414,40 540,91 623,65
Guinée 455,81 442,40 392,46 365,63 383,54 425,11 433,46 553,80 607,59
G. Bissau 159,71 168,92 157,64 141,44 140,51 160,16 187,73 192,57 207,20
Mali 259,64 254,03 223,07 246,22 259,79 325,71 360,83 380,62 421,80
Niger 166,86 154,31 127,25 135,12 146,10 173,92 180,53 196,13 206,87
Nigeria 310,81 323,72 402,43 365,41 355,98 443,19 496,57 593,95 728,34
Sénégal 561,62 560,84 498,20 506,98 541,24 675,22 768,58 794,67 854,91
S. Leone 173,94 165,65 163,81 262,19 281,07 298,29 283,76 293,07 429,20
Togo 356,10 344,90 283,67 284,29 306,69 340,28 390,15 398,80 428,98
CEDEAO
Maroc         1193,3        
Maurice         3758,3        
Botswana         3303,8        
Seychelles         7206,2        

Source : CEDEAO et Bureau pour l’Afrique de l’Ouest de la Commission Economique des Nations-Unies pour l’Afrique et Banque Africaine de Développement (2004).

Au regard des éléments révélés par l’étude menée dans cette section, l’instauration d’une union monétaire au sein de la CEDEAO n’entraînera pas d’un côté, des "gagnants" et de l’autre, des "perdants". Sur le plan strictement monétaire, tous les pays ont une raison avérée d’abandonner les voies respectives suivies actuellement au profit d’une "voie régionale". En revanche, les coûts qu’implique l’amorce de cette voie risquent d’être plus importants pour les pays non membres de l’UEMOA. En effet, les pays de l’UEMOA ont déjà supporté les principaux coûts de l’ajustement dans le cadre des efforts qu’ils fournissent pour assurer le fonctionnement de l’UEMOA.

La répartition des avantages commerciaux ne pourra pas être équitable compte tenu des disparités des dotations naturelles des facteurs de production, mais tous les pays semblent disposer néanmoins de quelques potentialités (qui justifient d’ailleurs la nécessité d’un marché régional pour assurer la complémentarité).

En revanche, l’examen de l’indicateur, "revenus par tête d’habitant" a révélé un état de pauvreté généralisée qui tempère fortement l’espoir d’accroissement du commerce intra-régional fondé dans ce projet d’union monétaire.

Cependant, même si les effets espérés dans ce projet d’union monétaire au sein de la CEDEAO devaient se produire, ce ne sera, de toute évidence, que dans le long terme. Il est donc intéressant de compléter l’étude prospective menée dans les deux sections ci-dessus par une étude rétrospective afin d’identifier les facteurs de réussite et les causes d’échec des expériences d’unions monétaires à travers le monde. Tel est l’objectif de la section qui suit.