3.3 Les enseignements à tirer des unions monétaires passées et actuelles pour la CEDEAO

Que ce soit dans les unions monétaires disparues ou dans celles encore en vie, la volonté politique, les raisons économiques et l’appartenance à une communauté culturelle apparaissent comme étant les bases fondamentales d’une unification monétaire. Dans le cas de la réunification de régions en vue de la formation d’un Etat, le cas de l’Allemagne montre que l’intégration monétaire suit le pas de l’intégration politique et que l’appartenance à la même culture facilite l’émergence d’une communauté solidaire et harmonieuse. L’importance de l’élément culturel se remarque aussi dans l’union monétaire scandinave où le "scandinavisme" a constitué l’élément unificateur entre le Danemark, la Norvège et la Suède. Cette dimension culturelle ne doit pas être sous-estimée dans le projet ouest-africain d’intégration monétaire compte tenu du clivage entre culture anglophone et culture francophone, d’une part et d’autre part, l’ethnocentrisme exacerbé dans certains pays (source de conflits politiques et sociaux).

Si le sentiment communautaire explique la confiance et l’affection portées au franc par les membres de l’union monétaire latine force est de constater l’accent mis sur le rattachement métallique des monnaies. Seules les pièces d’or et d’argent circulent entre les membres ; les billets, dont la couverture n’est pas garantie, sont exclus dans les moyens de paiement supranationaux. Transposée dans le projet ouest africain d’unification monétaire, cette remarque renvoie à la problématique de couverture de la base monétaire. En effet, étant donné que ce ne sont plus des pièces d’or ou d’argent qui circulent, la crédibilité d’une monnaie unique entre pays ouest africains ne peut être garantie que si son émission est couverte entièrement par une devise étrangère dont la stabilité est établie. L’adossement de l’émission monétaire aux avoirs extérieurs dans la zone monétaire caribéenne corrobore cet argument.

Par ailleurs, les difficultés rencontrées par l’Union monétaire latine à assurer la fixité du taux de conversion or/argent prévue dans les accords de coopération suite à l’accroissement de la production de l’or et ensuite de l’argent (avec la découverte de nouvelles mines) doivent inspirer la CEDEAO de la nécessité de ne pas opter pour l’intercirculation des monnaies nationales pendant la phase de transition118 ou, à la limite, de raccourcir cette phase au maximum (le bimétallisme a été fatal à l’union monétaire latine et scandinave). Ceci est d’autant plus important que le risque de manifestation de la loi de Gresham est très élevé en Afrique de l’Ouest avec un franc CFA stable face à des monnaies instables. Les effets induits par l’émission autonome de monnaie par les membres des unions monétaires disparues montrent la nécessité de centraliser ce privilège ainsi que la faculté de décider de l’orientation de la politique monétaire de l’union (dans les unions monétaires disparues, il n’y a pas eu de politique monétaire commune).

Toutefois, le contrôle des agrégats monétaires ne suffit pas pour prévenir ou amortir les chocs asymétriques susceptibles de toucher l’union. C’est pourquoi la coopération monétaire doit être renforcée par une coopération politique forte permettant une harmonisation des politiques fiscales et budgétaires. L’aboutissement de l’unification monétaire allemande, américaine, italienne, …est dû en grande partie à cette dimension politique (qui a permis le fédéralisme budgétaire et fiscal) tandis que la disparition des unions monétaires latine et scandinave s’explique, de son côté, par leur cantonnement au domaine uniquement monétaire ainsi qu’aux conflits politiques qui ont opposé certains pays participants. Ce dernier enseignement revêt une importance capitale dans la mesure où les conflits armés que certains pays ouest-africains ont connus récemment ont détérioré les rapports personnels entre les Chefs de ces pays et certains de leurs homologues voisins qu’ils accusent de vouloir déstabiliser leur régime.

La principale leçon à tirer de l’expérience monétaire de la communauté des l’Afrique de l’Est est la conséquence de la violation unilatérale d’un accord de coopération monétaire. La décision de l’Ouganda de restreindre le principe de transfert des capitaux a entraîné le grippage du système puis sa dislocation.

L’intégration monétaire de l’Afrique australe montre néanmoins que le fédéralisme politique n’est pas une condition sine qua non ; on peut bien concevoir une union monétaire entre Etats souhaitant garder la gestion de leurs politiques budgétaires et fiscales et …même leur politique monétaire. Aussi cette expérience montre-t-elle l’existence de formes de coopération monétaire moins contraignantes et pouvant conduire à une union monétaire soutenable. Elle montre enfin, l’intérêt d’un pays « leader » (rôle joué par l’Afrique du Sud). En Afrique de l’Ouest, ce rôle devrait revenir au Nigeria (pour son poids économique) ou au bloc UEMOA (pour son expérience en matière d’intégration monétaire).

Bref, si la participation à une union monétaire s’est révélée être une décision politique, il n’en demeure pas moins que celle-ci doit être dictée par des motifs économiques. En effet, soutenir, faciliter, stimuler, promouvoir (les échanges commerciaux) sont les arguments avancés dans toutes les unions examinées.

Notes
118.

L’AMAO (l’Agence Monétaire de l’Afrique de l’Ouest) en charge des questions monétaires de l’intégration régionale souhaite que les monnaies nationales puissent avoir cours légal dans les différents pays durant la période de transition.