1.1.2 Le degré d’ouverture des économies de McKinnon

Réagissant aux propos de Mundell, McKinnon (1963) propose le degré d’ouverture des économies d’un ensemble, les unes envers les autres, comme critère objectif d’instauration d’une union monétaire entre eux. Selon lui, il n’est justifié d’instaurer une telle union entre ces économies que lorsque ce degré est suffisamment élevé, car sur le plan économique, l’avantage de la fixation des taux de change repose sur les économies de coûts de transactions qu’on réalise. Plus intenses sont ces transactions, plus élevées seront les économies à réaliser.

Par ailleurs, contrairement à Mundell qui considère deux biens sans distinction, McKinnon précise que dans la production d’un pays on trouve deux types de biens : des biens échangeables et des biens non échangeables. Le rapport entre les premiers et les seconds détermine le degré d’ouverture du pays : plus le rapport est élevé, plus le pays est ouvert sur l’extérieur. Dans l’évaluation empirique de cet indicateur, on se sert du PIB (plus concret) à la place des biens non échangeables.

En Afrique de l’Ouest, le Togo est le pays qui écoule le plus de produits dans la région. Cela peut s’expliquer par les avantages qu’il tire de son appartenance à l’UEMOA, et à sa proximité géographique par rapport au Nigeria et au Ghana. Le Mali et le Niger aussi profitent beaucoup du marché régional. Dans l’ensemble, c’est dans la zone franc que s’effectue l’essentiel du commerce intra régional. Les parts des pays hors UEMOA dans le commerce régional demeurent faibles en dépit du potentiel qu’illustre parfaitement le Nigeria. En effet, les deux principaux produits, le pétrole et le gaz, qu’exporte ce pays constituent le principal poste dans les importations de ses voisins. En principe, il devrait être le premier fournisseur officiel124 de la région en pétrole. En dépit de la crise politique qu’elle traverse, la Côte-d’Ivoire demeure le pays le plus ouvert.

Tel qu’il apparaît dans le tableau ci-après, le diagnostic résultant de l’application de ce critère sur les économies ouest africaines est formel : trois ans après de la relance du projet, les pays candidats ne remplissent pas le critère de McKinnon.

Tableau 3.2 : Degré d’ouverture des pays membres de la CEDEAO
  Ratio des Exportations intracommunautaires / PIB
Bénin 2,5
Burk. Faso -
C. d’Ivoire
Gambie
Ghana
12,1
0,3
2,5
Guinée 0,2
Mali 4,2
Niger
Nigeria
3,2
1,8
Sénégal
S. Leone
5,4
0,8
Togo 9,3

Source : calcul de l’auteur sur données – CEDEAO (Année de référence : 2002).

Certes, McKinnon ne propose pas de seuil d’optimalité mais étant donné que le degré d’ouverture est en pourcentage donc mesuré sur une échelle de 100, des valeurs comprises entre 0,2% et 12,1% ne peuvent être considérées comme "élevées". A titre de comparaison, le niveau moyen du commerce intracommunautaire des 12 pays de la communauté européenne, entre 1982 et 1985, atteignait déjà 52,8% (Masson et al, 1992).

On peut affiner l’analyse en faisant ressortir les liens commerciaux entre les Etats, c’est-à-dire présenter le commerce intra régional de chaque Etat selon les destinations (pour les exportations) et selon les provenances (pour les importations).

A la lumière des statistiques officielles fournies, l’espace CEDEAO ne remplit manifestement pas la condition d’optimalité d’une zone monétaire au sens de McKinnon.

Cependant, l’analyse de l’optimalité monétaire d’un espace économique selon le critère de McKinnon souffre, en général, des approximations faites pour déterminer l’indice. En effet, le degré d’ouverture, tel qu’il est calculé empiriquement125, ne correspond pas exactement à l’idée de McKinnon. Dans sa proposition, le degré d’ouverture est mesuré par le rapport entre les biens échangeables et les biens non échangeables. Toutefois, la difficulté d’évaluer ces derniers conduit les auteurs à procéder par des approximations. Certains le calculent en faisant le rapport entre les exportations intracommunautaires d’un pays et son PIB tandis que d’autres font le rapport entre les importations intracommunautaires nettes des exportations du pays et son PNB. Or, si les exportations correspondent exactement aux biens échangeables internationalement, l’équivalence entre les biens non échangeables et le PIB n’est pas parfaite. Selon donc qu’on utilise l’une ou l’autre méthode, on aboutit à des résultats différents. Par exemple, mesuré suivant la seconde méthode126, le degré d’ouverture des pays de la Communauté européenne représenterait moins de 10% (Beine, 1998). Par ailleurs, l’absence d’une référence précise à partir de laquelle on est sûr d’être dans la zone des gains positifs empêche tout consensus entre les auteurs. C’est pourquoi Gros (1996) et Pisani-Ferry (1997) ont préféré donner leurs résultats relatifs au degré d’ouverture des économies européennes sous la forme d’un classement.

Notes
124.

Car on signale un approvisionnement régulier et important des marchés parallèles béninois, nigériens et togolais en carburant nigérian.

125.

Dans son analyse théorique, il s’agit d’une mesure normative.

126.

Une méthode souvent utilisée [par les économistes américains], selon Beine, pour montrer que les Etats-Unis n’ont pas intérêt à étendre leur union monétaire.