1.1.5 Le critère d’intégration financière d’Ingram

Pour Ingram (1969), dans une zone monétaire optimale, les transferts compensateurs rééquilibrent les balances des paiements internes des pays membres. Pour favoriser l’émergence de ce mécanisme, l’auteur suggère l’élimination des restrictions sur les mouvements des capitaux. Autrement dit, une zone monétaire optimale doit être avant tout une zone financière intégrée afin que les déficits des pays en récession puissent être financés par les excédents des pays en expansion sans variations perturbatrices significatives du change ou des taux d’intérêt. Ce critère pourrait pallier l’insuffisance de la mobilité de la main-d’œuvre chez Mundell et permettre, par voie de conséquence, un ajustement aux chocs sans passer par le change.

Au sein de la CEDEAO, le sous-espace UEMOA dispose d’une bourse régionale des valeurs mobilières, depuis le 16 septembre 1998. Cependant, comme le note le rapport annuel de la zone franc (2003), cette bourse n’a de "régional" que le nom, puisque sur les 39 sociétés inscrites à la cote "actions", 36 appartiennent à la Côte-d’Ivoire (pays qui abrite le siège de la bourse). Sa capitalisation, fin 2003, atteint à peine 1,69 milliards d’euros, les deux compartiments (actions et obligations) confondus. Cette faible performance de la bourse est la conséquence de plusieurs facteurs : 1°) le manque de dynamisme du marché primaire. A titre d’illustration, pour toute l’année 2003, les émissions de titres de créances négociables (assorties d’une maturité variant entre 3 et 6 mois) n’ont été réalisées que par les Trésors nationaux du Burkina Faso (deux fois), de la Côte-d’Ivoire, du Mali et du Sénégal (une fois, chacun) et pour un montant total de 85,4 milliards de FCFA (soit environ 130 millions d’euros). Quant aux institutions financières régionales, le montant de leur émission de bons se monte à 45 milliards de FCFA (soit environ 70 millions d’euros) ; 2°) le manque de moyens de communication, 3°) le manque d’acteurs (pour animer le marché), 4°) la lenteur du processus de pénétration de la culture boursière dans les mœurs, …

Quant au sous-ensemble hors UEMOA, seuls le Ghana et le Nigeria disposent d’un embryon de bourse de valeurs mobilières. Pour les autres pays, le système financier se réduit quasiment au système bancaire.

Seules deux banques ont une implantation régionale. Il s’agit de Ecobank (présente dans 11 pays sur les 15 que compte la région et cotée sur les trois principales places boursières : Abidjan, Accra et Lagos) et de bank of Africa.

Des développements qui précèdent, il apparaît que l’intégration financière, en Afrique de l’Ouest est au stade larvaire. L’espace CEDEAO ne satisfait pas donc le critère d’Ingram.

En résumé, il ressort des développements précédents que les critères de la théorie traditionnelle des zones monétaires optimales sont faiblement remplis dans l’espace CEDEAO. Il apparaît aussi que cette théorie ne forme pas un ensemble homogène : les critères sont non seulement différents les uns des autres, mais surtout n’ont pas été avancés dans une perspective de complémentarité. Alors qu’aucun ne peut constituer, à lui seul, une condition suffisante d’optimalité. Aussi, ces critères sont-ils affaiblis par leur caractère normatif. Enfin, cette théorie a fait tellement confiance aux mécanismes naturels d’ajustement qu’elle a perdu de vue les autres aspects pouvant pourtant concourir à l’optimalité d’une zone monétaire, notamment les aspects institutionnels ou les mécanismes d’ajustement hors marché. Pour toutes ces raisons, il n’est pas possible de porter un jugement crédible et tranché sur la capacité des Etats ouest africains à former un espace monétaire optimal sur la base de ces critères. Toutefois, cette théorie a connu beaucoup d’amélioration au cours de ces dernières années. Principalement depuis l’annonce, par l’Europe, de son projet (devenu réalité) d’unification monétaire. Dans les développements qui suivent, nous poursuivons l’étude du projet d’unification monétaire de la CEDEAO en tenant compte des nouvelles approches apparues dans la littérature.