a. Variabilité des taux de change réels en Afrique de l’Ouest

L’analyse de la variabilité des taux de change réels entre pays candidats à l’unification monétaire est une méthode proposée par Vaubel (1978). Elle repose sur l’hypothèse que la production de chocs asymétriques dans espace économique donné se traduit par une variabilité des taux de change réels. Pour évaluer la possibilité d’une Union monétaire, la méthode consiste à comparer les variations (sur une période donnée) des taux de change réels entre les pays candidats aux variations des taux de change réels entre les régions d’une zone monétaire témoin (considérée comme fonctionnant de façon satisfaisante et donc dans laquelle la variabilité des taux de change est en principe assez faible).

Le test de Vaubel a été repris par plusieurs auteurs dans le cadre du projet d’union économique et monétaire européenne. Son application a permis à Poloz (1990) de constater plus de stabilité des taux de change réels entre l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni qu’entre les régions canadiennes. Pour sa part, Eichengreen (1990) trouve la variabilité des taux de change réels entre pays de la Communauté européenne plus élevée par rapport à celle qui prévaut entre les quatre principales régions américaines (North Central, South, West et le North-East). Sa méthode consiste à calculer les écarts-types des variations des taux de change réels de chacun des pays candidats à l’unification monétaire puis de les rapporter à l’écart-type d’un pays-référence (choisi dans le groupe ; dans son exemple, il choisit l’Allemagne comme pays-référence) ; il procède de la même façon entre les régions de la zone monétaire témoin (il a comparé les variations des taux de change réels de North Central, de South et de West à celle de North-East).

Von Hagen et Neumann (1994) font une comparaison de la variabilité des taux de change réels des économies européennes avec la variabilité des taux de change réels entre les six länder allemands. Ils constatent que la variabilité entre l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas était comparable à celle qui existait entre les länder allemands pendant les années 70 tandis que la variabilité des taux de change entre le Danemark, la France, l’Italie et le Royaume-Uni était plus forte. Ces résultats sont à l’origine de l’idée de répartition des pays européens en deux groupes : d’un côté, les pays aptes à former une union monétaire avec l’Allemagne immédiatement et de l’autre, ceux qui devraient fournir des efforts supplémentaires de rattrapage avant d’adhérer à l’union. C’est la fameuse idée du processus d’intégration en deux temps qui, si elle n’a pas été retenue en Europe, semble sous-tendre la procédure suivie en Afrique de l’Ouest. En effet, l’idée de création d’une seconde zone monétaire entre les pays non membres de l’UEMOA peut être interprétée comme une façon de favoriser une mise à niveau de ces pays avant que la fusion entre les deux espaces monétaires n’intervienne. L’objectif étant d’éviter le choc brutal que l’Allemagne avait connu au moment de sa réunification monétaire et qui avait entrainé une explosion de chômage dans la partie Est, un processus de rattrapage coûteux pour l’Etat fédéral, voire même pour les partenaires européens,…Le parallèle établi avec l’expérience allemande n’est pas fortuit. En effet, il existe effectivement une certaine ressemblance entre les contextes monétaires allemand et ouest-africain : comme l’Allemagne de l’Ouest, l’UEMOA se caractérise par une rigueur monétaire tandis que la partie hors UEMOA est comparable, toutes proportions gardées, à l’Allemagne de l’Est en termes de laxisme monétaire. La prudence affichée se justifie également, car la variabilité des taux de change réels intra-UEMOA est faible par rapport à la variabilité des taux de change réels dans les pays extra-UEMOA de la région comme on le voit dans le tableau ci-après.

Tableau 3.4 : Comparaison des écarts-types de variations des taux de change réels entre les pays de la CEDEAO (UEMOA et ZMAO), dans la Communauté européenne (avant l’UEM) et aux Etats-Unis selon la méthode de B. Eichengreen (1991)
Au seins de l’UEMOA Ecart-type (1998-2004) Au sein de la ZMAO Ecart-type (1998-2004)
Benin
Burkina Faso
Côte-d’Ivoire
Mali
Niger
Sénégal
Togo
σ moy-UEMOA
11,91
11,75
13,15
13,78
11,15
13,16
10,68
12,22

Gambie
Ghana
Guinée
Nigeria
Sierra-Leone

57,39
96,47
38,64
71,47
49,64
Entre pays membres de l’UEMOA   Entre Régions américaines Ecart-type (1980-1987)
Benin / Togo
Burkina Faso / Togo
Côte-d’Ivoire / Togo
Mali / Togo
Niger / Togo
Senegal / Togo
1,11
1,10
1,23
1,29
1,04
1,23
North Central /North East
South/North East
West/North East
1,54
1,32
1,30
Chacun des pays de la ZMAO à σ moy-UEMOA   Entre les pays européens et l’Allemagne Ecart-type (1980-1987)


Gambie/σmoy-UEMOA
Ghana/σmoy-UEMOA
Guinée/σmoy-UEMOA
Nigeria/σmoy-UEMOA
S.Leone/σmoy-UEMOA


4,69
7,89
3,16
5,84
4,06
Belgique/ Allemagne
France/Allemagne
Grèce/Allemagne
Irlande/Allemagne
Italie/Allemagne
Pays-Bas/Allemagne
Portugal/Allemagne
Espagne/Allemagne
4,88
3,64
9,57
6,28
5,67
1,05
5,95
4,62

Source : calcul de l’auteur à partir de données de divers rapports sur le développement en Afrique ; B. Eichengreen (1991) (pour les pays européens et les régions américaines)

Le tableau révèle d’importants écarts de variation des taux de change réels entre les pays membres de l’UEMOA et les pays candidats à la seconde zone monétaire. La variabilité des taux de change réels intra-UEMOA reste faible : la comparaison des variations des six pays au septième (Togo) montre une variabilité comprise entre 1,04 et 1,29. Ces résultats sont proches de ceux obtenus par Eichengreen (1991) entre les trois grandes régions américains (North Central, South, West) comparées à la quatrième (North-East) et sont conformes au constat fait dans beaucoup de travaux empirique, à savoir que l’existence d’une monnaie unique tend à réduire les variations des taux de change réels entre les pays qui l’utilisent (à cause de l’égalisation progressive des prix au sein de la zone où elle circule et de la réduction des écarts de salaires). Par ailleurs, le rapport entre la variabilité de chaque pays candidat à la seconde zone monétaire et la variabilité moyenne UEMOA reste assez élevés mais identiques aux valeurs qui prévalaient entre les pays de la Communauté européenne par rapport à l’Allemagne.