b. Le cercle vertueux de Frankel et Rose

Comme Krugman, Frankel et Rose (1998) considèrent, eux aussi, qu’une union monétaire est un système dynamique. Mais la comparaison s’arrête là, car à l’opposé des effets négatifs attribués au fonctionnement d’un tel système chez Krugman, les études empiriques menées par Frankel et Rose révèlent plutôt des effets positifs. Selon ces deux auteurs, l’adoption d’une monnaie commune accroîtrait les échanges commerciaux entre les partenaires et, partant, favoriserait la synchronisation de leur cycle d’activités. Rose (2000) se propose de vérifier la capacité de génération ex-post d’un certain nombre de conditions d’optimalité par une union monétaire. Il cite en l’occurrence l’intensification des échanges commerciaux, la diversification des structures de production, la stabilité des taux de change réels, le degré de corrélation des cycles économiques, … Pour ce faire, il analyse, sur la période 1960-1996, les données macroéconomiques 142 de 210 pays répartis en fonction de la nature de leurs liens : les unions politiques nationales (regroupement d’Etats souverains ayant non seulement une monnaie unique mais aussi un même régime politique, une même culture, les mêmes lois,…), les unions monétaires internationales (des Etats souverains qui délèguent leur politique monétaire à une autorité tierce) et les pays « autonomes ». Les résultats confirment largement le caractère endogène du développement des facteurs d’optimalité d’une zone monétaire :

Le seul bémol viendrait de la confirmation de la propension à la spécialisation des membres d’une union monétaire.

Les arguments de la théorie endogène des ZMO réconfortent sans nul doute les promoteurs du projet d’unification monétaire de l’espace CEDEAO dans leur espérance, mais deux raisons principales recommandent la prudence.

Premièrement, deux principaux biais sont soulignés dans le modèle empirique de Rose (2000) spécifié comme suit :

ln(Xij) = γUMij0 + β1ln(Dij) + β2ln(YiYj/PopiPopj)+ β3ln((YiYj)+ δ*Zijij

Où Xij représente la valeur des échanges entre les pays i et j ; UM est une variable muette binaire égale à 1 lorsque i et j partagent la même monnaie et égale à 0 sinon ; Dij représente la distance entre i et j ; Y désigne le PIB réel ; Pop correspond à la population ; Z est vecteur composé d’autres variables de contrôle ; ε représente l’effet résiduel de tous les autres facteurs dont dépend le commerce et γ est le coefficient qui mesure l’incidence de l’utilisation d’une monnaie commune sur les échanges internationaux : γ>0 indique que i et j ont tendance à commercer davantage entre eux.

  1. un biais d’auto-sélection : dû à la corrélation possible entre la variable UM et les autres variables explicatives. Persson (2001) estime que les échanges entre pays membres d’une union monétaire peuvent être le fait de la spécificité de leurs caractéristiques (niveaux de revenu, proximité, taille des pays, etc.) et non pas seulement parce qu’ils utilisent une même monnaie. L’éventualité d’un tel biais ne permet pas d’attribuer le résultat obtenu par Rose au seul fait d’utiliser une monnaie unique.

Deuxièmement, l’expérience de la zone franc CFA montre que le partage d’une monnaie unique ne suffit pas pour créer les conditions favorables au développement des critères « classiques » des ZMO. En effet, malgré ses 49 ans d’existence, la zone franc CFA ne remplit toujours pas ces critères de façon satisfaisante, selon Boughton (1991) et Ondo-Ossa (2002). Sur la base de ces critères, les pays de la zone franc n’ont pas intérêt à créer leur propre monnaie. Le premier auteur souligne néanmoins deux caractéristiques de la zone qui la rendrait optimale si on se plaçait dans une autre optique. Il s’agit de la discipline et de la crédibilité qu’elle procure à la politique monétaire de ses membres ainsi que la perception monétaire positive que les accords monétaires spécifiques avec la France favorisent. Le second auteur abonde dans le sens en concédant sur le caractère non optimal de la zone franc CFA au sens des critères classiques, mais considère que cette zone est optimale selon sa « finalité ». Ces nouvelles perceptions de « l’optimalité » d’une zone monétaire rejoint celle des concepteurs de l’UEM européenne qui concevaient cette dernière non pas comme une "zone monétaire optimale" au sens traditionnel du terme mais comme une "zone monétaire favorable" (rapport Emerson, p.29).

Toutefois, en empruntant la voie suivie par l’UEM européenne, la CEDEAO opte pour la convergence macroéconomique comme l’unique préalable au lancement de sa monnaie unique. Dans la section qui suit, nous apprécions donc son aptitude à réaliser son objectif à la lumière des critères afférant à cette approche.

Notes
142.

24% de l’échantillon portent sur des membres de zones monétaires communes.