b. Arbitrage entre inflation, chômage et flexibilité du marché du travail

Si la convergence des niveaux d’inflation dans une union monétaire est considérée comme faisant partie des conditions de viabilité de celle-ci, il faut signaler que le seuil optimal de cette variable fait l’objet de discussion. Il n’est donc pas surprenant que les signataires du traité de Maastricht aient préféré porter l’attention sur les écarts d’inflation (par rapport à l’inflation la plus basse enregistrée dans la zone) plutôt que de viser un seuil donné. Cette position prudente s’explique par l’absence de consensus dans le débat théorique concernant cette variable. Keynes avait estimé que l’apparition de l’inflation ne se produisait qu’une fois le plein emploi atteint ; Inflation et chômage ne pouvaient pas coexister. A l’aide de la courbe de Phillips, Samuelson et Solow établissent une relation inverse entre inflation et chômage laissant penser que les Etats pouvaient obtenir le taux de chômage souhaité (ou supportable) en choisissant un niveau d’inflation approprié, et vice-versa. Vu sous cet angle keynésien, la réduction des écarts d’inflation qu’implique l’adoption d’une monnaie unique engendrera forcément un coût puisque les pays vont devoir s’écarter de la position souhaitée sur la courbe de Phillips. Mais la convergence essentiellement nominale adoptée à Maastricht et dans le projet de monnaie unique-CEDEAO relève plutôt du monétarisme. En effet, s’appuyant sur la théorie des anticipations rationnelles (on y reviendra plus largement dans le chapitre 4), Friedman avait montré qu’à long terme l’arbitrage entre inflation et chômage devenait inefficace. Et cela expliquerait le phénomène de "stagflation" (existence simultanée du chômage et de l’inflation) observé à partir de la décennie 70. Selon ce point de vue monétariste, la renonciation à l’autonomie monétaire dans le cadre de l’Union monétaire n’entraînerait donc pas de coût supplémentaire pour les pays participants.

Cependant, le débat ne semble pas clos. Krugman (1996) souligne que « la grande de désinflation des années 1980, qui a fait revenir l’inflation d’environ 10% à quelque 4%, n’a été obtenue qu’au terme d’une longue période marquée par un chômage important et une surcapacité économique aux Etats-Unis, le chômage n’est redescendu à son niveau de 1979 qu’en 1988, et la perte cumulée de la production a été de plus de 1000 milliards de dollars ». De même, Pierre Fortin145 considère que la montée du chômage au Canada, qui a commencé dans les années 1970-1980, ne s’explique pas uniquement par les largesses de son système d’"assurance-chômage"ou par des causes micro-économiques et structurelles. Selon lui, une des causes du phénomène pourrait provenir de la politique anti-inflationniste de la Banque du Canada. Selon l’auteur, au cours de la décennie 1990, le taux d’inflation était inférieur à 1% tandis que celui du chômage était de 10% au Canada. De leur côté, Akerlof, Dickens et Perry (1996) montrent que le point de vue soutenu dans le courant NAIRU146 (Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment ou le taux de chômage n’accélérant pas l’inflation) n’est pas valable lorsque l’inflation se situe à un niveau très bas. Si les observations faites ici sont réellement fondées, on peut s’attendre à ce que l’effort de réduction de l’inflation dans les pays hors UEMOA s’accompagne d’une augmentation du chômage.

Par ailleurs, l’objectif de stabilité des prix assigné à la Banque centrale dans une Union monétaire impose une croissance modérée de l’inflation (moins de 2%). Une telle contrainte présente l’inconvénient de priver les Etats membres d’un moyen (l’inflation) permettant d’introduire un peu de souplesse dans les salaires réels. En effet, face à la difficulté de faire accepter aux agents économiques une réduction de leurs salaires nominaux en période de récession, il serait souhaitable de disposer d’un moyen subtil permettant d’agir alors sur les salaires réels. Krugman (1996) estime entre 3 et 4% le niveau de l’inflation nécessaire à cet effet. L’inflation cible, dans les deux sous espaces de la CEDEAO (UEMOA et ZMAO) se situe dans cet intervalle (ne doit pas dépasser 3%, dans l’UEMOA et 5%, dans la future ZMAO) ; sauf que les pays candidats à la seconde zone monétaire n’arrivent toujours pas à atteindre cet objectif.

Au-delà de la controverse théorique, la question de l’inflation ne doit pas être ignorée dans le débat sur l’instauration d’une union monétaire entre les pays ouest africains. Et ce parce que la voie choisie (pour la réalisation de l’objectif) exige que les participants au projet aient des préférences communes en matière de politique économique de façon générale. Il ressort de l’examen des données passées et actuelles que les deux blocs (UEMOA et ZMAO) n’ont pas toujours eu le même degré d’aversion pour l’inflation.

Notes
145.

Cité par Krugman (1996).

146.

Il n’y aurait pas de rapport entre l’inflation et le chômage à long terme.