a. Extension de l’approche de préférences homogènes sur les zones monétaires

L’extension de l’approche des préférences homogènes aux unions monétaires est l’œuvre de Kindleberger (1986). Cet auteur fait remarquer qu’une union monétaire est assimilable à un bien public ou collectif dans la mesure où elle peut être demandée par chacun des protagonistes pour les gains d’efficience et de stabilité macroéconomique qu’elle procure. Cependant, sa réalisation et sa viabilité dépendent du degré d’identité des préférences pour les objectifs fondamentaux déterminant l’avenir des pays candidats. En substance, Kindleberger affirme : « lorsque les pays membres d’une zone intégrée ont des échanges intenses et des préférences identiques tant pour les biens et services qu’ils échangent que pour les biens collectifs eux-mêmes, on peut considérer que ces pays remplissent les conditions d’une zone monétaire optimale147 ».

Au sens de cette approche, la réussite d’une union monétaire (aussi bien pour son lancement que pour sa pérennité) dépend du degré de rapprochement des objectifs poursuivis par ses membres en matière de gestion des grands équilibres macroéconomiques. A titre d’illustration : 1°) l’aversion contre l’inflation que partageaient l’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas fut considérée comme étant le facteur qui aurait rendu possible la zone monétaire de fait qu’ils constituaient ; 2°) la dislocation de la zone shilling est attribuée, en partie, à la possibilité que chaque Etat membre avait de pouvoir définir et de conduire sa politique monétaire de façon autonome, faute de Banque centrale commune. L’enseignement à tirer de ces deux exemples opposés est le suivant : l’union monétaire exige que les pays membres aient les mêmes préférences et qu’ils observent les mêmes formalités procédurales (si la zone est "informelle") ou soumis à des règles écrites et clairement explicitées (si la zone est "formelle"). Cette exigence a conduit Bourguinat à distinguer trois types d’unions monétaires et permet de comprendre les raisons du succès de certaines et l’échec d’autres :

  • Union monétaire par alignement spontané  : c’est une union qui résulte de l’alignement d’un ou de plusieurs « petits pays » sur un « grand pays ». La formation de ce type d’union intervient généralement lorsque, dans un espace régional, existe un « grand pays » assurant à la fois le rôle de principal client et de principal fournisseur pour les « petits pays ». Ces derniers, pour éviter les effets négatifs des taux de change et aussi pour profiter des avantages que procure leur fixité alignent tout simplement leur politique monétaire sur celle du « grand pays ». Toutefois, les « petits pays » conservent leur souveraineté monétaire : leur adhésion et leur retrait de l’union relèvent de leur libre initiative. Le « grand pays » ne jouant qu’un rôle de « leader ». C’est tout le contraire de ce type d’union monétaire qui est envisagé en Afrique de l’Ouest, c’est-à-dire l’alignement du grand pays (le Nigeria) sur les petits (les pays membres de l’UEMOA). Outre le caractère paradoxal du scénario, le grand pays (c’est-à-dire le Nigeria) n’est pas très tourné vers le commerce régional et est peu vertueux en matière de politique monétaire. Alors qu’il aurait pu jouer le rôle de pivot comme l’Afrique du Sud (dans la zone rand) ou l’Allemagne (dans la construction de l’UEM européenne).
  • Union monétaire par alignement imposé  : contrairement au cas précédent, dans ce cas de figure, le « grand pays » impose sa politique monétaire aux « petits pays » comme modèle. Il est évident qu’une telle union est plus facile à mettre sur pied lorsque les seconds, outre leur dépendance économique et commerciale, dépendent aussi du premier sur le plan politique. C’est pourquoi si l’histoire regorge plusieurs exemples de ce type d’union, de nos jours, il est quasiment impossible de l’imaginer. Même si Bourguinat range, dans cette catégorie, l’union résultant de la réunification monétaire allemande, celle que forment l’Angleterre et l’Ecosse  ou encore celle liant l’Afrique du Sud, le Basutoland et le Lesotho.
  • Union monétaire par convergence négociée  : l’union monétaire européenne constitue à ce jour, l’illustration parfaite de ce type d’union. La principale caractéristique de cette forme d’union est l’absence de pays hégémonique, du moins théoriquement, entre les membres et le caractère évolutif du processus d’homogénéisation de leurs préférences. La convergence d’une partie des préférences nationales (en matière d’orientations économiques) est obtenue par négociation avant l’unification et le reste se fait progressivement tout au long de la vie de l’union. A la différence de la précédente, ici, il n’y a qu’une petite partie de la souveraineté des Etats membres qui est sacrifiée sur l’autel de l’union. C’est celle relative au pouvoir régalien en tant que symbole ; sur le fond, du moment où tous les pays candidats visent les mêmes objectifs macroéconomiques, la perte de souveraineté que requiert la réalisation desdits objectifs ne devrait pas être trop préjudiciable.

Notes
147.

P. Narassiguin, op. cité.