b- Considérations économiques

La conception de la Banque centrale européenne est issue d’importants débats théoriques impulsés par Barro et Gordon au début des années 1980. Dans deux articles publiés en 1983, les auteurs mettent en évidence un lien entre le niveau d’inflation d’un pays et le degré d’indépendance de sa banque centrale. Pour bien saisir l’origine de ce lien, il faut rappeler la problématique. En fait, il est admis, qu’à court terme, l’injection d’une quantité supplémentaire de monnaie dans l’économie pourrait stimuler la production. A condition de prendre de court les agents économiques afin qu’ils ne puissent pas répercuter dans les prix l’augmentation de l’inflation qui accompagne habituellement ce genre d’opération. Les gouvernements pourraient être tentés de recourir de temps en temps à cette pratique pour des raisons diverses et nombreuses, quitte à renoncer à la politique monétaire initialement annoncée. C’est le phénomène d’incohérence temporelle décrit par Kydland et Prescott (1977). L’inconvénient de cette attitude est qu’elle décrédibilise les politiques monétaires futures aux yeux des agents économiques. Celles-ci deviennent alors non seulement inefficaces mais surtout génératrices d’inflation, car à la longue, les agents privés finiront par intégrer, dans leurs anticipations d’inflation, l’opportunisme des autorités monétaires; et si ces dernières essayent de prendre en compte, à leur tour, lors d’une nouvelle intervention, les anticipations d’inflation formées, on s’installerait alors dans une espèce de spirale inflationniste.

Pour enrayer la dynamique (ou biais) inflationniste mise ainsi en action, Barro et Gordon proposent que les politiques monétaires à mener soient rendues publiques et que la Banque centrale chargée de les conduire soit protégée contre la pression des pouvoirs publics. Rogoff (1986) suggère en outre que soit nommé à la tête de cette Banque centrale un gouverneur dont les préférences en matière d’inflation seraient plus fortes que celles de la société en général. On peut penser qu’en limitant principalement la mission de la Banque centrale européenne à la recherche de stabilité des prix, le Traité de Maastricht, dans son article 105, a voulu décharger la politique monétaire de l’obligation de viser en même temps un objectif de croissance économique forte.

Plusieurs travaux ont confirmé l’hypothèse du lien qui existerait entre inflation et indépendance de la Banque centrale. Parmi les plus récents, on peut citer ceux de : Grilli et al. (1991), Cukierman-Webb-Neyapti (1992), Cukierman (1992), Alesia-Summers (1993), Eijffinger-Schaling (1995). Tous ces travaux concluent en substance que les banques centrales indépendantes produisent moins d’inflation que celles qui sont sous les ordres du pouvoir politique. L’explication résidant dans la réputation et la crédibilité qu’acquiert une Banque centrale qui ne s’écarte pas de la politique monétaire annoncée.

Dans le cas ouest-africain, la dimension politique développée ci-dessus n’a pas la même portée, même si elle peut avoir son importance dans la perspective de fusion entre les deux sous-zones monétaires157. En revanche, les considérations économiques peuvent trouver, ici, leurs plus solides justifications. Pour s’en rendre compte, voyons la situation des banques centrales dans la région.

Notes
157.

En effet, on peut considérer que les pays de la zone franc auront besoin d’être rassurés que les pays hors zone franc renonceront au laxisme qui caractérise leur politique monétaire et accepteront d’affranchir leur banque centrale.