Conclusion du chapitre

L’appréciation du projet ouest africain d’unification monétaire sur la base de la théorie des zones monétaires optimales a donné des résultats largement négatifs. Les Etats ne remplissent pas de façon satisfaisante les six critères répertoriés dans ce corpus théorique, à savoir : la mobilité transfrontalière des facteurs de production, la flexibilité du marché de travail de Mundell (1969), une grande ouverture commerciale entre les pays candidats (McKinnon, 1963), la diversification de leurs économies ou la similarité de celles-ci (Kenen, 1969) ou un fédéralisme budgétaire (Ingram, 1969). Du point de vue de cette théorie, en cas d’instauration d’union monétaire entre ces Etats, les coûts découlant des éventuels chocs asymétriques risquent d’être plus importants que les gains pouvant résulter de l’utilisation de la monnaie unique. Cependant, l’aboutissement du processus d’unification monétaire européenne en dépit de la non satisfaction de certains de ces critères montre que leur réalisation est une condition nécessaire mais non suffisante. En se focalisant sur les chocs asymétriques, l’approche des zones monétaires optimales a ignoré les autres aspects, notamment l’importance des dimensions structurelle et institutionnelle dans un tel processus.

Le dénominateur commun des contributions ultérieures est le critère de "convergence" : convergence des niveaux d’inflation [Harberler (1970), Fleming (1971), Magnifico (1974)], harmonisation des préférences nationales [Cooper (1976), Kindleberger (1986), Bourguinat (1999)],… Malgré la fragilité de leur fondement théorique, les critères d’« optimalité » proposés dans cette théorie ont eu les préférences des « praticiens de l’économie » pour leur caractère concret et opérationnel. Le rôle déterminant qu’ils ont joué dans la construction monétaire européenne leur a donné un tel succès que le MERCOSUR, la CEDEAO et le CCG (Conseil de coopération du Golfe)163 les ont adoptés dans leur projet de monnaie unique. Cependant, dans le cas ouest africain, leur réalisation se heurte aux déséquilibres conjoncturels et structurels permanents des économies.

La théorie des zones monétaires optimales a été revisitée durant la décennie 90. Les chocs asymétriques ont pu être mesurés grâce à l’utilisation des techniques quantitatives [Masson (1992), Bayoumi et Eichengreen (1992), Melitz (1995),…]. De même, des nouvelles interprétations ont été avancées : l’hypothèse de polarisation des activités économiques de Krugman (1991) ou encore l’argument de l’endogénéïté des indicateurs de l’aptitude à l’union monétaire de Merkel et Rose (1998) situant la réalisation des critères d’optimalité ex-post et non forcément ex-ante.

En tant que pays fortement dépendants d’exportations de matières premières et de biens primaires, les termes de l’échange constituent un indicateur pertinent de l’existence réelle ou potentielle de chocs asymétriques en Afrique de l’Ouest. L’évaluation de la nature et de l’ampleur des chocs induits par ces termes de l’échange [Masson et Patillo (2001)] s’est révélée statistiquement significative. Il en est de même de leur vitesse d’ajustement (Cashin et Patillo, 2000). L’asymétrie des politiques macroéconomiques nationales révélée par les coefficients de corrélation des cycles économiques montre aussi que les pays ouest-africains ne sont pas des bons candidats à l’unification monétaire dans l’état actuel des choses.

Quant au risque de polarisation des activités économiques de Krugman (1991), il s’est avéré également non nul en ce sens que les niveaux de développement, de dotation des ressources naturelles et de stabilité politique des pays candidats présentent d’importants écarts. Le Nigeria, la Côte-d’Ivoire, le Ghana et le Sénégal présentent les meilleures chances de constituer les pôles d’attraction. Seule la capacité endogène des zones monétaires à générer les critères soulignés dans les différentes théories constitue un argument justificatif sérieux dans ce projet de monnaie unique CEDEAO. Cependant, la faiblesse de cette théorie réside dans son optimisme béat : elle fait abstraction aux spécificités des contextes, c’est-à-dire qu’elle s’applique à tous les projets d’union monétaire de la même façon. Le faible degré de réalisation des critères d’optimalité dans la zone franc CFA (près d’un demi siècle d’existence) suffit pour relativiser les « prédictions » de cette théorie.

Enfin, l’espoir de stabilité fondé dans la monnaie unique a introduit la question de l’indépendance de la banque centrale régionale au cœur du débat relatif à l’unification monétaire. Face au faible taux de réalisation des critères « classiques » d’optimalité et à l’instabilité des critères de convergence macroéconomiques, l’indépendance de la banque centrale s’est avérée être le dernier rempart. L’état des lieux dressé révèle d’importants écarts entre le degré d’indépendance dont jouissent actuellement les banques centrales des pays ouest africains et le degré d’indépendance que les chefs d’Etat affirment vouloir donner à la future banque centrale régionale. Les pays non membres de l’UEMOA étant ceux qui sont les plus éloignés de l’objectif visé. Une volonté de réforme visant à accorder plus d’indépendance aux banques centrales est exprimée dans les discours aussi bien des pays candidats à la seconde zone monétaire que les Etats membres de l’UEMOA, mais sa traduction dans les faits se heurte à la rigidité des mentalités.

Face donc à la faible réalisation des critères d’optimalité proposés par la littérature relative aux zones monétaires, il est intéressant d’appréhender les marges de manœuvres dont disposent les pays membres de la CEDEAO pour absorber les éventuels chocs asymétriques conjoncturels. Dans la mesure où la politique monétaire commune ne pourra pas traiter ce genre de chocs, leur absorption appelle des réponses individuelles. Ce qui confère aux politiques budgétaires et fiscales (les deux leviers qui restent) un rôle déterminant dans le fonctionnement « optimal » d’une zone monétaire. Aux critères d’optimalité (classiques et / ou de convergence) s’ajoutent donc des exigences d’équilibre budgétaire et d’assainissement des finances publiques. Le chapitre suivant analyse le cadre budgétaire de l’espace CEDEAO en commençant par un rappel sommaire du débat relatif à l’efficacité de la politique budgétaire dans la stabilisation ou la relance de l’économie.

Notes
163.

Qui regroupe l’Arabie saoudite, le Koweït, le Bahreïn, le Qatar, les Emirats arabes unis et Oman.