c. Catégorie de chocs susceptibles d’être résorbés par une action budgétaire

Dans la littérature sur la zone monétaire optimale, nous l’avons vu, les chocs asymétriques constituent l’objet implicite du débat. Ces chocs sont habituellement traités par une utilisation conjointe ou séparée des outils monétaires et budgétaires. L’impossibilité de recourir aux premiers – qu’entraîne l’instauration d’union monétaire – va-t-elle se traduire par un accroissement du rôle des seconds ? Sont-ils efficaces dans tous les cas de figure ?

Ces questions ont été largement traitées dans les études visant à éclairer le débat sur la réalisation de l’UEM européenne [rapport Emerson (1990), Pisani-Ferry et al (1992), Bec et al (1995), Schalck (2003),…]. Si a priori ce sont les chocs asymétriques qui méritent de faire l’objet d’une action budgétaire, il s’est avéré que l’efficacité de celle-ci dépend du degré de persistance des chocs. Plus précisément, une réponse budgétaire n’est appropriée que dans le cas des chocs asymétriques ayant une propagation de courte durée, c’est-à-dire des chocs asymétriques conjoncturels ou temporaires n’impliquant pas de transferts durables. D’où la nécessité d’opérer, au sein des chocs asymétriques, une distinction entre chocs asymétriques temporaires ou conjoncturels ou transitoires et chocs asymétriques permanents. Un choc asymétrique est dit temporaire lorsque son impulsion peut s’estomper au bout de quelque temps ; à l’opposé, un choc asymétrique est dit permanent lorsqu’il peut durer assez longtemps. Cependant, le qualificatif "permanent" doit être entendu, ici, comme durable et non comme perpétuel.

La distinction des chocs asymétriques par rapport à leur degré de persistance permet de savoir le type de réponses à leur apporter. En effet, il existe deux types de réponses budgétaires : la redistribution et la stabilisation. La première désigne le mécanisme par lequel un système fédéral réduit les inégalités structurelles à long terme entre les Etats par le biais des transferts et des impôts fédéraux. La seconde aussi désigne le mécanisme par lequel le système budgétaire central (ou fédéral) contribue à l’amortissement d’un choc conjoncturel subi par un Etat membre par le jeu des transferts et des impôts fédéraux et ce quelque soit le niveau de richesse (ou de pauvreté) dudit Etat.

A défaut d’un système budgétaire « fédéral », l’Union européenne a mis en place plusieurs programmes destinés à réduire les différentiels de revenus en son sein : fonds structurels, fonds de cohésion de Maastricht, …La CEDEAO semble opter pour la même solution. Le Fonds de Stabilisation et de Coopération (FSC) mis en place en 2002 pour soutenir les efforts d’ajustement des pays candidats à la zone monétaire (ZMAO) pourrait fusionner avec le Fonds d’Appui à l’Intégration Régionale (FAIR) crée en 1998 au sein de l’UEMOA pour contribuer à la réduction des disparités entre les pays membres. On peut cependant douter de l’efficacité d’un Fonds communautaire en Afrique de l’Ouest, même si la CEDEAO espère lui attribuer, à long terme, la gestion de l’aide au développement accordée à la région par les bailleurs de fonds internationaux. Car, non seulement les contributions financières des Etats membres seront modestes (compte tenu des faibles moyens financiers des Etats), mais aussi l’aide internationale ne cesse de diminuer.

Bref, dans la mesure où le budget communautaire sera nécessairement limité, une fois constitués en union monétaire, les pays ouest-africains n’auront plus que leur politique budgétaire et fiscale comme instrument de politique économique pour faire face aux chocs asymétriques conjoncturels qui les affecteront. Le recours à celles-ci risque de ce fait d’être fréquent d’autant plus que, à en croire la théorie de spécialisation de Krugman, l’Union monétaire accroîtrait ce type de chocs. D’où l’utilité de connaître l’ampleur de ces chocs dans une union monétaire existante ou en gestation. On rencontre, dans la littérature, différentes méthodes d’évaluation des chocs. Les auteurs du rapport Emerson (1992) utilisent des modèles économétriques plus ou moins sophistiqués pour évaluer les chocs potentiels et les chocs réels en Europe. Gerlach et Smets (1995) utilisent la décomposition de la variance du PIB pour évaluer les chocs permanents et les chocs temporaires dans les pays du G7. Après avoir souligné la nécessité d’opérer une distinction entre chocs asymétriques structurels et chocs asymétriques conjoncturels177 (ou temporaires), Artus (2000) représente les chocs asymétriques temporaires subis par un Etat membre d’une Communauté économique par l’écart entre le taux de croissance de son PIB et celui du PIB communautaire. Quant à Schalck (2004), il considère que les chocs asymétriques conjoncturels178 peuvent être mesurés par les écarts d’output gap, c’est-à-dire l’écart en points de croissance entre la croissance du PIB observé et celle du PIB potentiel. Pour estimer ce dernier, il renvoie à deux approches : celle qu’utilisent l’OCDE et l’INSEE [voir Giorno et al, 1995) et Lenglart et Mahfouz (1995)] et celle de la tendance coudée. La première repose sur une fonction de production de type Cobb-Douglas augmentée dont on cherche à mesurer le niveau potentiel des déterminants : travail, capital et productivité globale des facteurs et la seconde consiste à faire apparaître la tendance moyenne de l’activité en lissant l’évolution du PIB, etc. Bien évidemment ces méthodes ne donnent pas les mêmes résultats, mais comme le souligne le rapport Emerson, il n’y a pas de méthode unique pour quantifier les chocs, qu’ils soient communs ou asymétriques ; avec la diversité des causes à l’origine de ces chocs, toutes les méthodes peuvent être fondées, mais toutes sont d’une portée limitée.

Notes
177.

Une autre façon de classer les chocs asymétriques.

178.

Qu’il désigne par "aléas asymétriques" reprenant les termes de P. Artus.