2.2.2. Détermination empirique du solde primaire susceptible de stabiliser la dette publique

Par pragmatisme, l’évaluation empirique de la soutenabilité se fait de façon indirecte. Au lieu de simuler des excédents primaires futurs sur des bases hypothétiques, on essaie, à partir de la dérivation directe de l’équation (1), de déterminer le solde primaire qui stabilise le taux d’endettement.

Et puisque le solde primaire et la dette sont généralement exprimés en % du PIB, on peut diviser les termes de l’équation par cette grandeur. Ce qui donne, après quelques transformations,

s = (r-y)b

Le caractère minuscule des lettres traduit le changement de grandeur (de valeurs en ratios) ; s et b correspondent désormais aux ratios d’excédent primaire et de dette par rapport au PIB ; r représente le taux d’intérêt réel et y le taux de croissance du PIB réel.

Remarquons qu’une contrainte supplémentaire est faite à r dans cette relation – en sus de celle qui lui est imposée en (3b) –. C’est celle d’être supérieur à y pour qu’on soit dans une économie dynamiquement efficience. Une économie est dite dynamiquement efficiente lorsque les taux d’intérêt de long terme sur la dette publique sont supérieurs au taux de croissance du PIB. Dans l’application, représente les taux d’intérêt pratiqués dans le marché des titres de la dette publique (taux d’émission des bons des Trésors publics) : à long terme (≥ 3 ans), pour les pays de l’UEMOA et à court terme (≤91 jours) pour les pays211 candidats à la seconde zone monétaire.

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Ensuite une comparaison entre le solde primaire obtenu (par calcul) et le solde primaire effectivement réalisé permet d’apprécier l’effort budgétaire à fournir pour parvenir à la soutenabilité (en cas d’écart positif) ou le dépassement (en cas d’écart négatif).

Tableau 4.5 : Conditions de soutenabilité de la dette dans l’espace CEDEAO
  B se y r sn Ecart de soutenabilité
  Dans les pays membres de l’UEMOA
Bénin 51,3 -0,5 3,9 5,0 0,6 1,1
Burkina Faso 43,2 -1,3 8,0 4,9 - Non efficience
C. d’Ivoire 88,5 2,1 1,4 3,1 1,5 -0,6
Mali 74,0 1,4 2,6 7,9 3,9 2,5
Niger 88,7 -0,9 3,0      
Sénégal 68,8 1,9 6,5 5,5 - Non efficience
Togo 98,8 2,7 4,2 7,5 3,3 0,6
  Dans les pays candidats à la seconde zone monétaire
Gambie 157,3 8,8 5,5 19,0 21,2 12,4
Ghana 106,8 2,5 5,2 10,0 5,1 2,6
Guinée 97,3       - Non efficience
Nigeria 68,8     -6,9 - Non efficience
S. Leone 215,1 -3,0 3,8 9,3 11,8 14,8
  Dans les pays candidats à l’UEM (1989)
Belgique 128,4 2,4 3,0 5,0 2,6 0,2
Danemark 63,5 4,7 3,0 5,0 1,3 -3,4
Allemagne 43,0 1,6 3,0 5,0 0,9 -0,7
Grèce 86,2 -10,1 3,5 5,0 1,3 11,4
Espagne 43,8 -0,9 3,5 5,0 0,7 1,6
France 35,5 0,8 3,0 5,0 0,7 -0,1
Italie 98,9 -2,3 3,0 5,0 2,0 4,3
Luxembourg 9,0 1,2 3,0 5,0 0,2 -1,0
Portugal 73,1 -3,2 3,5 5,0 1,1 4,3

Source : calculs de l’auteur (pour la partie africaine)

Les pays qui présentent un écart positif doivent améliorer leur solde primaire à concurrence de la valeur de l’écart pour parvenir à la soutenabilité  tandis que ceux qui présentent un écart négatif sont en dépassement du solde primaire nécessaire. La comparaison des résultats des deux sous-ensembles de la CEDEAO montre d’une part, l’éloignement des pays candidats à la seconde zone monétaire par rapport à l’excédent primaire nécessaire et d’autre part, confirme à travers les résultats des pays membres de l’UEMOA l’autodiscipline budgétaire qu’induit le fait d’appartenir à une union monétaire. La comparaison avec les pays européens en phase préparatoire pour l’UEM montre que le niveau élevé de ratio de dette chez certains pays ouest africains ne devrait pas être considéré comme un obstacle insurmontable. En effet, au démarrage de l’UEM, la Belgique, la Grèce et l’Italie présentaient des ratios de dette très élevés par rapport au seuil fixé par le Traité de Maastricht. Mais ils sont parvenus à satisfaire les exigences du calendrier de réalisation. Cependant, comme le dit l’adage : « comparaison n’est pas raison ». Outre la discipline budgétaire que cela exige, l’expression de la soutenabilité montre qu’une croissance212 soutenue de l’économie est également nécessaire. Or, beaucoup de facteurs indépendants de la volonté des pays influent sur la croissance des économies ouest africaines.

En somme, l’expression analytique de la soutenabilité budgétaire montre que celle-ci n’est pas un évènement certain, mais une hypothèse probable. Son mérite pédagogique [B. Blancheton (2005)] réside dans la mise en évidence des déterminants de la contrainte budgétaire de l’Etat, à savoir : le solde primaire (net d’intérêt), le taux de croissance du PIB et le taux d’intérêt réel auquel la dette publique est servie. C’est ce qui explique ses limites. En effet, ces paramètres sont très variables. Par exemple, les recettes et les dépenses (qui sont les déterminants du solde primaire) font souvent objet de politiques variables. De même l’hypothèse de "non jeu de Ponzi" est peu réaliste. Comme le note Bertrand Crettez et al (2002), « les Etats étant des agents dont la durée de vie est à priori infinie, on ne peut pas toujours exclure qu’ils puissent emprunter pour rembourser leur dette ». Quant à l’hypothèse d’efficience dynamique (r > y) retenue, elle ne tient pas compte, elle non plus, de l’évolution aléatoires des variables budgétaires telles que les dépenses publiques et les recettes futures,… Ce qui va conduire Bohn (1995) à considérer le cadre ci-dessus comme étant trop simpliste et inapproprié à l’analyse de la contrainte budgétaire intertemporelle. Selon lui, les contrainntes de solvabilité budgétaire et les conditions de non jeu de Ponzi ne peuvent découler que d’un cadre stochastique. Il est arrivé à cette conclusion en observant l’évolution des taux d’intérêt sur les bons du trésor américains par rapport à l’évolution du taux moyen de la croissance de l’économie. Il a constaté que les premiers ont été souvent inférieurs au second. Ce qui, dans un cadre comme celui utilisé ci-dessus, aurait conduit à une conclusion de non efficience de l’économie américaine. Puisque, par définition, une économie inefficiente est une économie dans laquelle la productivité marginale du capital (ou les taux de rendement des actifs) est inférieure au taux de croissance de l’économie ; c’est-à-dire qu’il y a surabondance de capitaux ou encore que l’économie investit plus qu’elle ne gagne. Et pourtant l’économie américaine était bien efficiente pendant la période observée, comme l’a confirmé l’étude empirique de Abel et al(1989)213. Selon ces autres auteurs, dans un environnement stochastique, la meilleure façon de mesurer l’efficience dynamique d’une économie est de comparer le taux d’intérêt du capital-risque à son taux de croissance. Car selon eux, « le risque le plus important supporté par les agents n’est pas la baisse de leurs dividendes, mais la chute de la valeur de leurs actifs) ».

Notes
211.

Dans ces pays où le financement des déficits publics par émission de titres est récent, la durée des bons des Trésors est de : 7, 14, 28, 42 ou 91 jours.

212.

La norme d’équilibre traité de Maastricht n’a pu être respectée qu’à la faveur du retour d’une croissance forte entre 1996 et 2000 [B. Blancheton (2005)]

213.

Cité par Sarr (2005), "La soutenabilité de la politique budgétaire dans la zone UEMOA : essai d’appréciation théorique et empirique".