Conclusion du chapitre

Plusieurs enseignements intéressants sont apparus dans les développements ci-dessus. Tout d’abord on remarque que le débat sur l’efficacité de la politique budgétaire a commencé en dehors de toute perspective d’unification monétaire. Les faits semblent avoir donné raison tour à tour aux deux grands courants de la pensée économique. D’abord aux keynésiens, avec le succès fulgurant qu’a connu cette politique comme intrument de régulation conjoncturelle ; puis aux économistes d’obédience libérale, avec les limites214 apparues par la suite, notamment son incapacité à relancer une économie en récession surtout lorsque celle-ci est surendettée. Car dans ce cas particulier, une augmentation du déficit public peut se traduire par une baisse de l’investissement et de la consommation privée annihilant, par voie de conséquence, l’effet d’une hausse des dépenses publiques ou d’un allégement fiscal sur la demande globale. Hansen (1996) a montré, à travers la modélisation des seuils endogènes, que jusqu’à un taux d’endettement de 83% du PIB, l’Etat peut exercer une influence de type keynésien sur l’activité économique et qu’au-délà, il exerce un effet non-keynésien voire anti-keynésien, s’il persiste à utiliser la politique budgétaire.

Le débat a été relancé à l’annonce du projet de création de l’Union monétaire européenne. La perspective que les Etats ne puissent plus recourir à la politique monétaire (pourtant plus facile à mettre en œuvre en cas de choc conjoncturel) a conduit les économistes à s’interroger sur ce qu’il faut faire des politiques budgétaires ou ce que celles-ci peuvent faire seules contre les chocs asymétriques. Certains ont estimé qu’il faudrait les unifier, elles aussi. Ce sont les partisans du "fédéralisme budgétaire". Mais les expériences ont montré que cela nécessite au préalable, ou en tout cas à la longue, le fédéralisme politique ; évolution improbable en Europe compte tenu de l’enracinement du sentiment national chez les Etats-candidats. D’autres ont mis en garde contre le « désarmement » total des Etats et ont été suivis par la Commission européenne puisque les politiques budgétaires ont été maintenues dans le domaine de compétences des Etats mais toutefois, encadrées par des seuils (pour éviter une utilisation abusive) et leur coordination recommandée (pour réduire le risque de resquillage).

L’examen des situations budgétaires des Etats membres de la CEDEAO a révélé des niveaux d’endettement et de déficit élevés. Ils sont donc dans une situation où le recours à la politique budgétaire en cas de chocs asymétrique serait plutôt nocif. L’objectif de ramener le niveau de l’endettement sous la barre de 70% du PIB apparaît difficile à atteindre et à maintenir à cause des niveaux atteints dans certains pays et de la persistance des causes à l’origine de l’endettement (pauvreté, détérioration des termes de l’échange, mauvaise gestion des deniers publlics,…). La même difficulté est observée en ce qui concerne la résorption des déficits budgétaires surtout dans les pays non membres de l’UEMOA. Instaurer une monnaie unique dans un tel contexte, c’est prendre le risque de placer à l’avance la Banque centrale régionale face à un dilemme : doit-elle soutenir les déficits budgétaires des Etats au risque de devenir carrement une banque de développement ou doit-elle se cantonner à sa mission première, à savoir assurer la stabilité de la monnaie et s’exposer aux critiques des dirigeants politiques (qui l’accuseront à coup sûr de ne pas soutenir la croissance et l’emploi) ? Les critiques du Président sénégalais, A. Wade, à propos du niveau élevé des réserves de la BCEAO215 sont un signe annonciateur de ce à quoi la future Banque centrale communautaire doit s’attendre. Et contrairement à la BCEAO pour laquelle la présence de la France constitue un rempart, la future Banque centrale-CEDEAO n’aura que la clause statutaire d’indépendance pour abri. Si celui-ci peut résister à la pression des petits pays, il n’est pas sûr qu’en soit de même s’agissant des grands pays comme le Nigeria, la Côte-d’Ivoire ou le Ghana. Or, ce sont ces pays qui présentent les niveaux d’endettement et de déficit les plus élevés et qui ne peuvent pas bénéficier du programme d’allégement de la dette extérieure (par annulation) qu’accordent certains bailleurs de fonds dans le cadre de la lutte contre la pauvreté.

L’étude de la soutenabilité des politiques budgétaires à long terme dont le but est de dépasser les limites216 des indicateurs traditionnels que sont le déficit et le niveau d’endettement a montré des situations diverses mais globalement non soutenables. Malgré les actions d’assainissement des finances publiques entreprises dans les différents cadres (les PAS du FMI, le programme de convergence macroéconomique de la CEDEAO ou le pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité de l’UEMOA), les dettes publiques continuent à augmenter. Pour créer des conditions de viabilité, il faut qu’une croissance soutenue accompagne ces actions d’assainissement. En effet, une politique budgétaire est viable si le rapport entre la dette et le PIB reste constant sur la période considérée.

Notes
214.

Limites que les keynésiens ont attribuées au niveau d’endettement initial élevé des Etat et au décalage entre apparition d’un choc et réponse budgétaire appropriée ou le niveau de dette préexistant de l’Etat.

215.

M. Wade voit dans ces réserves de l’argent oisif.

216.

Liées à leur caractère statique.