Chapitre 5 Les obstacles non économiques à l’intégration monétaire de l’Afrique de l’Ouest et éléments d’une stratégie de contournement

Introduction du chapitre

Jusque-là notre analyse sur la faisabilité de ce projet d’intégration monétaire ouest-africain n’a porté que sur des aspects économiques et n’a souligné, par voie de conséquence, que des obstacles de cet ordre. Or, au-delà des justifications économiques – telles que énoncées par la théorie des ZMO et les contributions ultérieures – l’adhésion à une union monétaire ou la participation à un projet de création d’une telle structure reste une décision fondamentalement politique. Et ce non seulement parce que la participation à un tel projet relève des prérogatives de l’Etat mais aussi parce que la monnaie est garantie par l’autorité publique. Ceci étant, la réalisation d’une telle structure demande avant tout de la volonté politique et de la solidarité entre les Etats membres. Malgré ses déboires, la zone franc CFA illustre parfaitement ces affirmations. En effet, bien que n’étant pas le résultat d’un processus d’intégration économique, comme le suggèrent les économistes, cette zone, grâce à la volonté politique qui la sous-tend217, a résisté à bien des épreuves et continue de défier les prédictions pessimistes sur son avenir. De façon générale, la volonté politique intervient tout au long de la vie d’une union monétaire :

  • en amont : elle est nécessaire pour le consentement des efforts préliminaires, notamment l’adaptation des réglementations nationales aux normes communautaires, la réalisation des critères techniques, la renonciation à la souveraineté monétaire qu’elle implique,… ;
  • en aval : elle permet le respect des règles et principes de fonctionnement de l’union.

Il n’est donc pas exclu que la difficulté rencontrée dans la réalisation des critères de convergence macro-économiques–qu’on présente comme étant la cause des deux reports enregistrés (dans le démarrage de la seconde union monétaire, point de départ de l’unification monétaire régionale) – soit due, en partie, à un manque de volonté politique. Et si cela était le cas, alors la voie suivie actuellement par la CEDEAO, c’est-à-dire l’exigence de convergence macroéconomique avant l’instauration de la zone monétaire unique risque de ne pas pouvoir aboutir.

Par ailleurs, comme le note Aglietta et al (1998), « la monnaie n’appartient pas exclusivement, ni prioritairement, à l’économie. Son acceptation ne se réduit pas à un calcul rationnel des coûts et des bénéfices, mais mobilise des croyances et des valeurs au travers desquelles s’affirme l’appartenance à une communauté ». Cette dimension anthropologique de la monnaie nous conduit aussi à nous interroger sur l’existence effective d’une communauté en Afrique de l’Ouest. Cet aspect nous paraît important, car la faible perception des actions de la CEDEAO — contrairement aux actions des Organisations non gouvernements (ONG) étrangères — s’explique par le caractère technocratique de ses projets.

Le présent chapitre est organisé de la façon suivante. Il s’agit tout d’abord d’analyser les problèmes sociopolitiques pouvant entraver la réalisation du projet d’unification monétaire de la CEDEAO. Par diplomatie, ces problèmes sont volontairement occultés, et pourtant leur prise en compte pourrait faciliter la recherche de voies à suivre.

Il s’agit ensuite de contribuer à la réflexion sur la recherche d’options alternatives. En effet, face à l’enlisement de l’option à deux volets (c’est-à-dire création d’une seconde zone monétaire entre les pays non membres de l’UEMOA puis la fusionner avec l’UEMOA), la Commission de la CEDEAO (nouvelle appellation du "Secrétariat exécutif") s’oriente à nouveau vers une nouvelle approche dite "approche unifiée" (dans le cadre de laquelle, le lancement de l’union monétaire s’effectuera dès qu’un groupe de pays représentant 75% du PIB régional atteigne les critères de convergence).

Notes
217.

Perceptible à travers les coûts (les coûts relatifs aux diverses et nombreuses réformes visant le renforcement de la zone, les coûts qu’induit la fixité du change en termes de compétitivité,…) que les pays membres acceptent de supporter en vue de préserver la zone.