a. La construction de l’Etat-nation : nécessité ou alibi

La souveraineté que les Etats doivent partager avec les institutions communautaires régionales doit émaner des "nations". Mais qu’est-ce c’est que la "nation" ? Beaucoup d’éléments concrets sont utilisés pour permettre la représentation de cette notion que Renan (1996) compare à une âme ou à un principe spirituel. Parmi les éléments les plus couramment utilisés, Renan (1996) recense, entre autres, la race, l’unité de la langue, la communauté d’intérêts, l’affinité religieuse, l’appartenance à une aire géographique commune, les nécessités militaires,…Toutefois, l’auteur trouve à la fois dérisoire et dangereux (car conduisant au grégarisme) de faire reposer la nation sur ces éléments. La "nation" transcende tous ces éléments. Après avoir avancé plusieurs éléments pour définir ce que c’est que la nation, l’auteur récapitule en disant que, « la nation est une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et ceux qu’on est disposé à faire encore ». Volonté donc de vivre ensemble dans le présent comme dans le futur, la nation suppose aussi un passé commun. La difficulté des Etats ouest africains commence justement là. L’absence d’un long passé commun complique la construction d’avenir commun aussi bien au niveau des nations qu’au niveau régional.

Avant la pénétration coloniale, la langue était l’élément principal autour duquel se construisait la communauté en Afrique. Le découpage colonial, à l’origine des nations actuelles, a certes permis le regroupement de ces entités ethniques, mais dans la mesure où c’était juste pour mieux les exploiter, cela n’a pas favorisé le développement de sentiment "national", encore moins de sentiment régional. Autrement dit, la « vie commune » que les populations ont menée durant la colonisation ne relevait pas de leur volonté, mais était imposée par l’administrateur colonial.

Les mouvements d’insurrection contre l’occupation coloniale étaient plus une prise de conscience circonstancielle d’une souffrance commune qu’un vrai sentiment national. De ce fait, l’accession à l’indépendance présentait le risque de désintégration de ces mosaïques ethniques223 du fait de la disparition de la force qui les unissait. C’est ainsi qu’au lendemain des indépendances, l’accent avait été mis sur la construction de l’"Etat-nation" avec l’idée que l’unité nationale devait primer sur la diversité 224 . Cet argument fut le justificatif du monopartisme politique instauré dans toute la région après les indépendances. Mais en réalité, c’était plutôt un prétexte pour se maintenir au pouvoir. La nécessité de consolider les Etats-nations avant de se lancer dans la construction régionale continue de servir d’argument à ceux qui traînent les pieds dans l’application des décisions communautaires. L’argument est incontestablement fondé vu le jeune âge des nations ouest africaines, mais il n’est pas exclu qu’il soit un prétexte chez certains chefs d’Etat.

Notes
223.

A titre d’illustration, la Côte-d’Ivoire compte 75 ethnies, la Guinée, 15,

224.

" Perspectives régionales de développement à moyen et long termes de l’Afrique de l’Ouest" ; symposium organisé à l’occasion du 30e anniversaire de la CEDEAO, les 25 et 26 mai 2005. P. 48.