b. Intégration régionale : avantages sécuritaires et contreparties démocratiques

Certes, à l’origine ce sont des objectifs économiques qui étaient explicitement visés dans le traité fondateur de la CEDEAO. Mais le rôle politique de l’Organisation n’a pas tardé à se manifester et à croître. Cela a commencé par le règlement de différends existant de longue date entre des Chefs d’Etat de la région225 et s’est poursuivi par l’adoption de plusieurs protocoles. En 1978 la CEDEAO fait adopter un protocole de non-agression entre ses membres. en 1981, un engagement de défense militaire mutuelle, en cas d’agression d’un membre, est adopté. En 1991, l’Autorité de Chefs d’Etat et de Gouvernement a adopté une Déclaration des principes politiques qui contiennent des règles et des modalités dont l’observation est supposée aider à éviter les conflits. Dans le même ordre d’idées il y a eu l’adoption, en 1999, d’un mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits. Une force d’interposition, l’ECOMOG, est déjà opérationnelle depuis 1990. Ces instruments de prévention, de gestion et de règlement de conflits ont fait leur preuve au Liberia, en Sierra Leone, en Guinée-Bissau, au Togo et actuellement en Côte-d’Ivoire. Depuis quelques années, la CEDEAO ne reconnaît plus les régimes portés au pouvoir par un coup de force : qu’il soit militaire ou « constitutionnel226 ». Cependant, pour éviter que des gouvernements forts de la protection qu’offrent ces différents protocoles ne confisquent le pouvoir, un protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance (adopté en 2001) est en cours de ratification par les Etats en ce moment. Il est supposé permettre à la CEDEAO d’accompagner les transformations sociales et politiques qui s’opèrent dans la région en ce moment. Concrètement, le Protocole autorise la CEDEAO à participer à la supervision des élections227 (présidentielles et législatives) et à la promotion du dialogue social et politique dans les Etats membres.

Comme on peut le remarquer, l’application effective du protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance entraîne des obligations en contrepartie des avantages accordés par les autres protocoles. En effet, elle instaure implicitement une « veille démocratique multilatérale228 » et offre au Secrétariat Exécutif de la CEDEAO la possibilité, conformément à ses attributions, de contrôler l’application des principes démocratiques souscrits, de formuler des propositions et de signaler tout manquement au "Conseil des Ministres"229. Sur la base de l’article 5, alinéa 3 du traité230 révisé, ce dernier pourrait saisir les instances compétentes (notamment la Cour de justice) pour contraindre un Etat-membre récalcitrant à appliquer les décisions communautaires. Cette perspective ne peut pas ne pas susciter de l’appréhension dans des pays où on rivalise de stratagèmes pour conserver le pouvoir pour soi-même ou pour son ethnie (ou sa région). On touche ici l’un des plus grands, pour ne pas dire le plus grand, obstacles à l’intégration régionale.

En somme, le désir de profiter des avantages de l’intégration régionale tout en limitant les coûts de participation (en terme de perte de souveraineté) conduit à cette attitude contradictoire que nous observons chez les dirigeants politiques ouest africains et qui consiste à professer la foi dans le discours et à traîner le pied dans l’exécution.

Notes
225.

Radioscopie de la CEDEAO ; P.3. Document de travail interne.

226.

Après avoir ouvert la voie au coup d’Etat militaire en Afrique, le Togo est encore à l’origine d’une nouvelle forme de prise du pouvoir illégale. On le qualifiera de « retouche constitutionnelle ». En effet, pour permettre au fils (Faure Eyadema) de succéder à son défunt père (Gnassingbé Eyadema), l’Armée (majoritairement Nordiste, comme le défunt président) supprime les passages de la Constitution relatifs à la vacance du pouvoir (et qui désignaient le Président de l’Assemblée comme le successeur). En fait, puisque la CEDEAO et la Communauté internationale ne reconnaissent plus les régimes militaires, la manœuvre des officiers de l’Armée togolaise visait à mettre au pouvoir quelqu’un qui soit acquis à leur cause. Pour éviter que la méthode ne fasse tâche d’huile, la CEDEAO a exigé et obtenu le départ de l’usurpateur. Mais ce ne fut qu’un retrait « tactique » puisqu’il a remporté les élections présidentielles anticipées qui ont été organisées par la suite.

227.

Des élections souvent entachées d’irrégularité. Donc sources potentielles de conflits.

228.

Selon l’article 9 du traité de la CEDEAO, un Etats membre ou la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement peuvent saisir la Cour de justice lorsqu’un autre Etat membre n’honore pas les obligations auxquelles il a souscrit.

229.

Composé des Ministres chargés des affaires étrangères des différents des pays membres de la CEDEAO, le "Conseil des Ministres" est chargé d’assurer le bon fonctionnement et le développement de la Communauté à travers les pouvoirs que le traité révisé de la CEDEAO lui confère.

230.

Les Etats membres s’engagent à honorer leurs obligations et à respecter les décisions communautaires.