1.2.1 Le poids des préjugés

Conformément au traité l’instituant, la CEDEAO est l’organisation idéale et naturelle de l’intégration de la région. L’UEMOA lui reconnaît cette primauté. En effet, dans son préambule, l’UEMOA affirme s’inscrire dans les objectifs de la CEDEAO. Les dispositions du traité révisé de la CEDEAO le précisent clairement en ces termes : « la CEDEAO doit devenir l’unique communauté économique régionale en Afrique de l’Ouest ». Mais dans les faits, les deux institutions semblent plutôt rivales : le maintien de l’UEMOA est perçu, du côté de la CEDEAO, comme un contrepoids au Nigeria (Adrien Akanni-Honvo, 2003), voire même comme « anti-nigériane » (Berg, 1993). Quant à la présence de la France dans certaines instances de l’UEMOA, elle est considérée par la CEDEAO comme un obstacle au bon déroulement de l’intégration régionale. Les pays membres de l’UEMOA sont taxés, par les autres pays de la CEDEAO, d’être sous tutelle française ; et par ce biais, de permettre à un pays tiers de prendre part dans le processus d’intégration régionale. Ce qui constitue en soi une hérésie à leurs yeux dans la mesure où l’esprit du "régionalisme" repose sur l’exclusion des pays tiers. Et comme on l’a montré plus haut, la construction régionale ne répond pas seulement à une logique économique, elle a aussi une dimension politique. C’est ce qui fait que, de par sa qualité de principal partenaire commercial et politique des pays membres de l’UEMOA, la France n’est supposée donner un avis favorable sur une mesure régionale engageant l’UEMOA que si celle-ci lui est profitable. Les pays membres de l’UEMOA ont, de leur côté, peur du gigantisme du Nigeria et émettent des réserves par rapport au laxisme notoire de ce pays en matière de gestion macroéconomique.

Les préjugés entre les deux institutions peuvent également être rapportés à leur héritage colonial. La CEDEAO est essentiellement composée d’anciennes colonies britanniques232 et l’UEMOA, d’anciennes colonies françaises233. Or, outre la langue et la culture, Français et Anglais ont légué à leurs anciennes colonies des institutions différentes à l’image des politiques de colonisation différentes qu’ils ont respectivement menées. Les barrières culturelles, générées par ce fait colonial et subtilement entretenues par le Commonwealth et la Francophonie, entretiennent le fossé entre les deux sous-ensembles. Des efforts de rapprochement sont déployés234, mais les résultats dépendront de la capacité des deux parties à se départir de l’influence de leur appartenance historique lorsqu’il s’agit de promouvoir la cause régionale. Des signes encourageants commencent à apparaître au sein de l’UEMOA, – la principale incriminée. A la question de savoir laquelle des deux institutions constituerait le cadre géographique optimal pour une intégration des économies dans la région, certains Chefs d’Etat de l’UEMOA235 se seraient déclarés en faveur de la CEDEAO236 (Adrien Akanni-Honvo, 2003).

Mais en attendant le ralliement des autres, cette configuration binaire continuera à constituer un obstacle majeur à l’avancement du processus d’intégration régionale, en général et monétaire, en particulier.

Notes
232.

A l’exception de la Guinée et du Cap-Vert.

233.

A l’exception de la Guinée-Bissau.

234.

Pour nuancer les propos du Secrétariat exécutif qui, tout en reconnaissant la vie séparée que les deux blocs menaient avant l’avènement de la CEDEAO, affirme que la naissance de celle-ci aurait permis le rapprochement desdits blocs (Radioscopie de la CEDEAO, P.3).

235.

Même si l’auteur ne précise pas les Chefs d’Etat en question, on peut penser qu’il peut s’agir, entre autres, des Chefs d’Etat du Bénin, du Niger et du Togo. De par l’importance des échanges entre, respectivement, ces pays et le Nigeria, ils ont plus d’avantages à tirer dans la CEDEAO que dans l’UEMOA.

236.

A entendre, cette fois, comme l’espace global de la région ; donc incluant l’UEMOA