b. L’UEMOA en tant que tremplin à la construction de la zone monétaire unique

En raison de sa longue histoire en tant qu’union monétaire (depuis 1962) et de son expérience en matière de convergence macroéconomique (depuis 1994), l’UEMOA doit servir de base à tout accord de coopération monétaire crédible en Afrique de l’Ouest. Cependant, elle ne pourra pas jouer pleinement ce rôle tant qu’elle ne s’affranchira pas de la tutelle monétaire française. En donnant leur accord de participation au projet d’union monétaire-CEDEAO, on peut penser que les pays de l’UEMOA envisagent de se retirer de la zone franc CFA. Il reste à savoir comment ce retrait sera organisé. Dans le débat académique, plusieurs propositions sont avancées :

  • adoption de monnaie nationale par chacun des pays : on retrouve cette option extrême chez Koulibaly (1992) et chez Monga et al (1996). Ces auteurs militent tout simplement pour le recouvrement de l’indépendance monétaire estimant utopique l’idée du maintien de la zone franc sans la France;
  • ouverture de l’UEMOA et de la CEMAC aux autres pays de leurs régions d’implantation respectives (on a déjà discuté les limites de cette option en ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest) ;
  • transformation du franc CFA en monnaie commune : cette option allie souveraineté monétaire et union monétaire régionale. S’inspirant des conclusions d’un rapport270 rédigé par un groupe d’étude constitué en 1982 par le Ministère de Coopération et du Développement, Sandretto (1987) décrit en détail cette option. Il s’agit, en substance, de permettre à chaque pays d’avoir le privilège d’émettre sa propre monnaie et de disposer de sa propre Banque centrale tout en adhérant à un "Fonds de réserve et de coopération régional" (qu’on pourra appeler "Fonds Monétaire Africain"). Ce dernier aura en charge la gestion de la monnaie commune, le franc CFA ou tout autre dénomination271 par rapport à laquelle toutes les monnaies seront définies mais qui ne jouera que deux fonctions : une fonction d’intermédiaire entre les monnaies nationales et les monnaies internationales et une fonction d’unité de compte ou monnaie de facturation dans le commerce intra régional. L’architecture cambiaire sera composée de deux niveaux : le passage d’une monnaie nationale au franc CFA se fera à taux de change fixe mais ajustable ; il en sera de même entre le franc CFA et le franc français (maintenant, l’euro). Cette option présente trois avantages : 1°) mettre la monnaie au service du développement économique272 (objectif de la restauration de la souveraineté monétaire), 2°) introduire une dose de flexibilité dans le dispositif pour permettre une modification des taux de change quand la situation économique d’un pays ou de la zone l’exige et 3°) préserver le bénéfice de la garantie française (nécessaire pour garantir la crédibilité du système).

Aucune de ces options ne semble correspondre exactement au projet que les autorités de la CEDEAO souhaitent voir se réaliser, à savoir une union monétaire régionale complète et immédiate. La première option fragmentera davantage l’espace monétaire ouest-africain et de ce fait, elle est l’antipode de ce que recherche la CEDEAO. Pire encore, elle fera perdre tous les acquis de la zone franc CFA. Quant à la troisième option, elle pose deux écueils : premièrement, le maintien de la garantie française ne permettra pas une intégration monétaire complète de la région (pour les raisons évoquées supra et relatives au Nigeria) ; deuxièmement, le franc CFA, réduit à une simple unité de compte, n’aura pas une charge symbolique suffisamment forte. Or, au-delà des fonctions économiques, nous avons vu que la monnaie unique doit participer à la construction du sentiment d’appartenance à une communauté et pour ce faire elle doit avant tout être réelle et tangible. Le remplacement de l’Ecu par l’Euro, dans le cas européen, illustre cet aspect.

Notes
270.

Intitulé : "Propositions pou l’aménagement de la zone franc". Cette étude prouve que la France est ouverte à toute solution raisonnable pour cette zone y compris à son africanisation. Ce sont plutôt les pays africains qui se complaisent dans ce statu quo par pusillanimité.

271.

Car il faudrait profiter d’un tel changement pour modifier la dénomination de cette monnaie qui, malgré la transformation du "Franc des Colonies Françaises d’Afrique" en "Franc de la Communauté Financière d’Afrique" continue à évoquer le souvenir de la première dénomination. L’adhésion de pays non « francophones » appelle également cette modification.

272.

Et surtout rendre à ces pays l’instrument le plus efficace dans la gestion du cycle économique au moment où la capacité de la politique budgétaire à stabiliser l’économie remise en cause par la théorie néo-ricadienne.